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Tunisie- Un été pourri

Par  Soufiane Ben Farhat

Il ne faut guère être devin pour y souscrire. En effet, le tableau de bord politique et des données épidémiques, économiques et sociales est particulièrement alarmant. Le faisceau d’indices plaide en faveur d’un verdict cinglant. L’été 2021 s’annonce particulièrement pourri. D’emblée.

Pourtant, chaque fois on se dit ça y est on touche le fond, demain ne saurait être pire. Que nenni. En fait, il s’agit plutôt d’une irrépressible descente aux enfers dans un gouffre sans fond.

Loin de moi de piquer tête en avant dans la sinistrose. Je suis de nature optimiste et volontariste. Par ailleurs, le fatalisme atavique n’est guère ma tasse de thé. Toutefois, il faut se fier aux évidences. Les cycles de violences et de répression féroce observés au cours des dernières semaines n’augurent de rien de bon. L’appétit vient en mangeant dit-on. Le pourrissement s’enlise et se cristallise dans les confrontations récurrentes aussi. La politique de la poigne l’emporte. En effet, les va-t-en guerre ont le vent en poupe.

Retour des vieux démons

L’Etat, plus particulièrement la police, ne font guère montre de mansuétude. Encore moins de compréhension ou de tempérance. Pourtant, tant qu’il y aura exclusions, paupérisation et misère, il y aura des flambées de violences s’exprimant sous différents aspects. La criminalité aussi est, parfois, une forme de réponse biaisée aux vicissitudes d’un quotidien ingrat. L’essentiel est de savoir y parer via les réformes nécessaires et de les traiter le cas échéant avec la souplesse requise.

Toutefois, ce qu’on observe ces derniers mois, c’est le retour des vieux démons du tout-répressif. Nos agents chargés de l’exécution des lois (selon la terminologie onusienne consacrée) ont la matraque facile semble-t-il. On l’a remarqué dès les mouvements sociaux observés en janvier dernier. En effet, il y a une flagrante et navrante disproportion entre les faits sociaux incriminés, les actes qui s’ensuivent, si répréhensibles soient-ils et la répression policière démesurée. La Ligue tunisienne pour La Défense des Droits de l’homme (Ltdh) avait présenté un rapport accablant à ce propos fin février 2021. Hélas, le topo n’est guère reluisant. D’autres organisations de la société civile l’ont corroboré.

Répression tous azimuts

Paradoxalement, il y a de tout sauf les attributs d’une démocratie qui se respecte. Le traitement infligé aux jeunes protestataires relève de la torture et des traitements inhumains et dégradants.

Qu’on en juge. Répression, tortures, menaces de viol, mises à nu intégrales, descentes nocturnes musclées dans les maisons, matraquage, sévices et supplices, utilisation de gourdins et de battes de baseball. Un jeune homme a même perdu ses parties génitales suite aux sévices par brûlures dans un poste de police. Par ailleurs, le nombre de morts suspectes dans les locaux de la police augmente.

Pire, certains policiers publient et diffusent sur les réseaux sociaux les photos de militants de la société civile. Des filles y sont accusées de fréquenter des « athées » et de s’adonner à la débauche. Un syndicaliste policier a publiquement fustigé les journalistes, assimilés à des « communistes laïcs ». En toute impunité.

Last but not least, les locaux de la radio Shems FM ont été investis la semaine dernière par une horde de personnes commanditées par un maire intégriste fondamentaliste. Hélas, là aussi en toute impunité. On assiste à la réémergence des tristement célèbres troupes d’assaut paramilitaires qui avaient terrorisé les manifestants entre 2012 et 2014.

Indices économiques et sociaux au rouge vif

En fait, le blocage politique en vigueur depuis des mois se double de verrouillages économiques et sociaux. En vérité, les trois présidences de la République, du gouvernement et du Parlement n’en finissent guère de se chamailler. Le blocage institutionnel est complet.

Envolée vertigineuse des prix des produits de base

Par ailleurs, aucune réforme économique n’est mise en place tandis qu’augmentent le chômage et la paupérisation accrue. Les envolées vertigineuses des prix des denrées et services de base en rajoutent au marasme. Sans compter la recrudescence de la pandémie du coronavirus et du manque flagrant de vaccinations. En effet, on était supposé atteindre trois millions de vaccinés fin juin, nous n’en sommes qu’à moins de quatre-cent mille au bout de plus de trois mois de vaccinations.

Fin de règne

Bref, c’est une atmosphère de fin de règne qui sévit désormais sous nos cieux. Et l’on n’est guère assuré de voir le bout du tunnel de sitôt. Ce qui est certain, c’est que l’establishment issu des élections législatives et présidentielle de 2019 a irrémédiablement fait faillite. Néanmoins, il tient encore la barre. Tel un général fantasque d’une armée morte.

Le gouvernement de Hichem Mechichi dure depuis onze mois. Il n’a guère diligenté ne fut-ce que le semblant en pointillé de quelque ébauche de réforme de structures. En contrepartie, l’économie est à genoux, le social s’enlise dans la décrépitude et la misère généralisée. Les institutions se figent, paralytiques. Quant aux violences étatiques, elles rappliquent tel un rouleau compresseur.

« Les hommes raisonnent toujours avec une guerre de retard ». Tel fut le constat tristement lucide de Marc Bloch, dans L’Étrange défaite. Le gouvernement Mechichi en administre la preuve par l’absurde. Et par la répression.

S.B.F

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