Par Soufiane Ben Farhat
Je parle à la première personne. Je témoigne. J’accuse. En effet, en ces temps de désolation, de profonde tristesse et de mort à tout-va, il faut protester à mort si j’ose dire. Le nombre des victimes du Covid 19 augmente d’une manière vertigineuse. D’ailleurs, les recensements officiels, qui ne rendent pas compte de toute la cuisante réalité, parlent de près de dix-mille atteintes quotidiennes au maudit virus et près de deux-cents morts par jour. En fait, le décompte macabre est effarant, effrayant même. Un Tunisien meurt du coronavirus toutes les sept minutes, sinon moins. Pourtant, nous n’avons pas encore atteint le pic de la pandémie. En effet, le pire est à venir dans les prochaines semaines.
Le gouvernement se contredit
Entretemps, les protagonistes de la scène politique n’en finissent pas de s’étriper autour des privilèges et des dignités. Bien évidemment, au détriment de la large masse des laissés-pour-compte. Et ceux-ci sont légion.
Tous les indicateurs sanitaires et épidémiologiques sont au rouge. Partout à travers la République, c’est le même scénario macabre. Les mêmes souffrances citoyennes, les mêmes incuries politiques. Les autorités de tutelle en sont même arrivées à s’auto-démentir. En effet, Mme Nissaf Ben Alayya, porte-parole du ministère de la Santé, a déclaré il y a deux jours que le système sanitaire s’est effondré. Pire, a-t-elle ajouté les larmes aux yeux, le bateau Tunisie coule. Quelques heures plus tard, le ministère de la Santé a publié un communiqué en guise de cinglant démenti à sa porte-parole. Cherchez l’anomalie. Sinon la schizophrénie.
Tous coupables
Ailleurs, c’est le même topo. En réalité, lesdites présidences -de la République, du gouvernement et du Parlement- n’en finissent guère de s’accuser sur fond de surenchères et de déclarations à l’emporte-pièce. Du coup, c’est un triste concert dans le registre de la cacophonie officielle. D’aucuns se justifient à loisir, se lavent plus blanc que blanc en quelque sorte. Sans pour autant gagner ne fut-ce qu’une once de crédibilité auprès de l’opinion exsangue et en colère.
En revanche, d’autres chargent leurs adversaires tout en suggérant qu’ils n’y ont rien à voir. Sans gagner, là aussi, ne fut-ce qu’un grain d’embellie ou de sympathie. Pour le Tunisien lambda, il y a désormais un seul credo. Nul ne saurait camper les Sainte-Nitouche. Encore moins les purs et durs ou les sauveurs du dernier quart d’heure.
Autour de 10 % de vaccinés
Soyons réalistes. En ce début de juillet 2021, la situation épidémiologique en Tunisie s’apparente à celles du Brésil au mois de mars et de l’Inde il y a deux mois. Désespérés, des Tunisiens lancent des hashtags sur les réseaux sociaux en guise de SOS. Au risque d’en offusquer les âmes sensibles. D’autres sombrent tout bonnement dans la peur panique, la dépression ou l’inconsolable désespérance. En fait, il n’y a pas de vaccins. On nous avait promis trois millions de vaccinés à la fin juin. Jusqu’à hier, seulement six-cent huit mille Tunisiens ont été complètement vaccinés. Soit autour de 10 pour cent du total supposé.
On tue le peuple, lequel tue le père
A travers leurs accusations mutuelles, les deux têtes de l’exécutif et les parlementaires tentent de se justifier en creux en quelque sorte. Ils ne comprennent pas que la souffrance populaire n’a cure des subtilités constitutionnelles et politico-politiciennes. Pour les Tunisiens, tous les responsables font bloc dans l’incurie et l’impuissance.
Et puis, dans leurs discours récurrents, lesdits responsables se déclarent volontiers les vrais détenteurs et chefs suprêmes du pouvoir. Ils se chamaillent même pour revendiquer d’une manière on ne peut plus ostentatoire d’être chacun le vrai chef. C’est le cas de Kaies Saied, président de la République, Hichem Mechichi, chef du gouvernement ou des élus parlementaires. Du coup, même s’ils se débinent, leur responsabilité est décuplée, de leur propre aveu. Franchement, l’arroseur est arrosé. En gestionnaires archaïques du pouvoir paternaliste, nos hauts responsables se sont enquis de tuer le fils. La réponse du peuple est peut-être inconsciente mais incisive : on tue le père.
Cruelles moissons du déshonneur
Finalement, les mesures prises hâtivement au dernier quart d’heure pour stopper la meurtrière déferlante de la pandémie ne sauraient être la panacée. En effet, le seul remède, c’est les vaccinations massives. Or, les vaccins font défaut et les promesses officielles semblent évasives, brumeuses, voire oiseuses. Charles de Gaulle avait dit un jour à l’intention de Winston Churchill : « Monsieur le Premier ministre, vous êtes libre de vous déshonorer ». Nos gouvernants n’ont rien d’un Churchill, pourtant, à l’issue de cette pandémie, ils récoltent les cruelles moissons du déshonneur.
S.B.F