Par Soufiane Ben Farhat
De mémoire de vieux briscard, c’est du jamais vu. Nous vivons désormais l’ère des pénuries successives. En fait, cela touche nombre de produits de base ainsi que l’infrastructure sociale d’accompagnement. En effet, les coupures d’eau en pleine canicule, pour ne prendre que cet exemple on ne peut plus tangible, sont devenues monnaie courante. Des centaines de milliers de foyers en sont privés ce weekend dans les populeux gouvernorats de Ben Arous et de Nabeul notamment. Sans pour autant être prévenus. Pourtant, les factures de la Sonede, elles, arrivent comme des ultimatums qui ne souffrent guère quelque retard de paiement. Autrement, c’est la coupure sévère et méticuleuse, là aussi.
Partout, la faillite de l’Etat est patente. Navrante et contraignante même. Sans recours possible, fut-il par simple protestation de vive voix.
La curée pour les dignités
Les seuls surplus, nous les constatons au niveau des responsables. L’inflation des privilégiés y est au summum. Partout, c’est le syndrome de l’armée mexicaine. Dix généraux pour un soldat. Dix dignitaires pour un pauvre hère, un exclu ou un indigent.
Au niveau des élus, c’est effarant. En 2018, ils étaient plus de 53.668 candidats à se disputer âprement les 7.212 sièges de conseillers municipaux. Entretemps, on a sensiblement augmenté le nombre des communes. Désormais, la Tunisie compte 350 communes, dont le nombre de conseillers varie entre 12 et 60 selon la population du périmètre municipal. Soit. Exercice démocratique et consécration du pouvoir local tant attendu, nous dit-on. Seulement, il y a un trop-plein de responsables et un nivellement par le bas des prestations au profit des contribuables. Pire, il n’y a guère de voies de recours contre l’arbitraire.
Subissez, mourez, y a rien à faire
En effet, on supporte les travers de la mauvaise gestion, de la corruption et du laisser-aller, la rage aux tripes. Et on se tait par surcroît.
Alors on subit. Le pire, c’est que cela touche surtout les domaines vitaux. En fait, depuis quelques mois, le système sanitaire s’écroule, en plein pic de la pandémie de coronavirus. Là aussi, c’est la succession de pénuries. En fait, il y a pénurie de vaccins, pénurie d’infrastructures, pénurie de personnel, pénurie de médicaments, pénurie de lits d’hôpitaux, pénurie d’oxygène, pénurie de services de réanimation. Et j’en passe. En contrepartie, les atteintes au virus et le nombre de personnes qui en décèdent battent leur propre record macabre au fil des jours.
Élus, députés, enrichissez-vous !
L’inflation des conseillers municipaux proportionnellement inversée à leur efficience n’est qu’un exemple. En fait, n’oublions guère les 217 députés au Parlement. Autant dire 217 dépités qui passent le plus clair de leur temps à s’abîmer dans des querelles byzantines. L’intérêt supérieur du pays et des citoyens ? Allons donc, c’est le dernier de leurs soucis. « Enrichissez-vous » disait Guizot. Ils s’y appliquent à la lettre, et avec zèle s’il vous plaît.
Après tout, le Tunisien les a choisis. A ses risques et périls, à ses dépens même. D’ailleurs, ils n’ont de cesse de le lui signifier, en guise de rappel tantôt ironique tantôt narquois. Le proverbe dit bien « qui s’amène de son propre gré mérite la bastonnade à souhait » ( illî jabittou sa9ih la3saa lih ).
Évidemment, les élus ont élu à leur tour leurs préférés, acolytes et congénères. Cela ne concerne guère que les seuls membres du gouvernement. En effet, cela déborde sur les hauts responsables des innombrables cabinets, les hautes structures et foule d’entreprises. Autant de territoires acquis comme des domaines réservés ou de chasses gardées.
Cercle vicieux
Ainsi avons-nous au total plus de huit mille illustres élus. Des élus pour rien, est-il besoin de le rappeler ?
En revanche, les pénuries sont corollaires de l’augmentation faramineuse et effrénée des prix. A ce niveau, un véritable rouleau compresseur étouffant, contraignant et irrépressible existe depuis peu. Le gouvernement Mechichi, la majorité parlementaire n’ont pas d’autre panacée ou remède que de faire encore et davantage suer le burnous et le bon peuple. La pénurie se décline partout, telle une ritournelle sacramentelle. Pénurie de main d’œuvre, pénurie de médicaments, pénurie d’hôpitaux, pénurie d’eau, pénurie de vie décente et digne. Pénurie de hauts responsables et d’élus dignes de ce nom. D’ailleurs, on ne parle pas de la pénurie de bonheur. Tant nous sommes devenus fatalement tristounets et aigris.
S.B.F