Par Soufiane Ben Farhat

Les images sont bouleversantes. Un directeur d’hôpital à Mateur s’est effondré en pleurs, à défaut d’oxygène pour les patients. Ailleurs, les gens implorent Dieu. Leurs incantations sont déchirantes. Les grimaces de la peur et de l’horreur sont insoutenables.

Nous y voilà donc. L’hécatombe a investi les lieux à une allure vertigineuse. En effet, ces jours-ci, la Tunisie enregistre le plus grand nombre mondial d’atteintes et de morts au Covid-19 par million d’habitants. Et ce n’est pas fini. En fait, la période de l’aïd el-idha, en amont et en aval, est celle de tous les dangers. En effet, la recrudescence des atteintes au coronavirus au cours des dernières semaines bat tous les tristes records. Celle du nombre de morts aussi. Ainsi est-on passé d’une moyenne de 70 morts par jour en juin à une moyenne de 170 morts par jour en juillet. La moyenne nationale des contaminations dépasse les 800 par cent mille habitants. Et ce n’est qu’une moyenne, certains pics atteignant les 2.000 contaminations par cent mille citoyens.

21 mille morts, sinon plus

Du coup, le nombre des morts dépasse les 21 mille, aux dires d’un haut responsable du ministère de la Santé. S’exprimant jeudi dernier lors d’une audition au Parlement, le directeur général de la santé a été on ne plus explicite : «Le bilan de l’épidémie du Covid-19 en Tunisie est de 4.5 millions d’infections et de plus de 21 mille décès». Pourtant, des sources officieuses et sérieuses font état du double du nombre des victimes. En vérité, les morts au coronavirus chez eux ou sans que les causes exactes soient décelées ou connues sont légion.

Effarant, révoltant même et cela donne des frissons. En fait, il faut remonter le cours des obscurs siècles des occupations et des guerres dévastatrices pour déceler autant de pertes humaines en Tunisie en si peu de temps.

Genèse d’un désastre

En vérité, il ne faut guère être devin pour remonter la chaîne de la catastrophe. Négligences, couacs et corruption dans la fourniture des bavettes dans un premier temps. Non-observation scrupuleuse et dissuasive des règles de distanciation sociale aussi. Manque flagrant des vaccins. Absence d’une stratégie de lutte radicale contre la propagation du virus avec zones prioritaires, timing et deadlines. Bref, ça a commencé dans l’à peu près et cela a fini dans la pagaille. Dernièrement, c’est le manque flagrant d’oxygène qui en rajoute au marasme. Malgré les précieuses et si louables aides étrangères, les autorités tunisiennes se bornent à camper l’infâme posture de l’Etat mendiant. Sans plus. Doucement le matin et pas trop vite le soir.

An elderly wheelchair-bound woman receives a dose of the Pfizer-BioNTech COVID-19 coronavirus vaccine at El-Menzah sports hall in Tunisia’s capital Tunis on April 12, 2021, as vaccination centres in the North African country experience an influx of registrations a day ahead of the Muslim holy fasting month of Ramadan. (Photo by FETHI BELAID / AFP)

Évidemment, le premier responsable c’est le gouvernement. Il brille par ses tâtonnements, son manque flagrant d’anticipation et de prévoyance et ses incohérences aberrantes au niveau des mesures sitôt prises sitôt infirmées par d’autres mesures non moins navrantes et affligeantes.

Effondrement du ban et de l’arrière-ban

Le système de santé s’effondre sous nos cieux. En fait, il n’en finit pas de vaciller. Sans pour autant sombrer définitivement. Malgré vents et marées, l’armée des blouses blanches tient le cap. Médecins, infirmiers, professions médicales et paramédicales ne lâchent guère. Bien que soufrant du manque de moyens logistiques surtout et à leurs corps défendant. Leur héroïsme est sans bornes. Nous ne saurons jamais leur en savoir assez gré.

Un système sanitaire qui vacille

Pourtant, depuis la révolution de 2011, la santé tunisienne a subi un véritable travail de sape. L’instrumentalisation du système sanitaire par les politiciens magouilleurs et les invétérés corrompus bat encore son plein. Certes, tout n’y baignait pas dans l’huile avant la révolution. Mais, depuis, jamais le gouffre et la concussion n’ont été si évidents.

Le pire est encore à craindre

Évidemment, tout le monde se pose la question à brûle-pourpoint. Quand cette hécatombe cessera-t-elle ? Encore faut-il qu’elle atteigne son pic, s’empresse-t-on de rétorquer. En fait de pic, parlons-en, puisque tout le monde élude cette fatalité.

Quant on sait que seulement 913.076 Tunisiens ont été totalement vaccinés jusqu’à hier, il y a de quoi s’inquiéter. Au moins cinq millions deux cent mille Tunisiens ont encore besoin d’être vaccinés. En 128 jours, 2.385.176 citoyens ont été vaccinés, à raison de 18.634 vaccins par jour. A ce train là, il faudra encore dix mois pour vacciner définitivement les 5.200.000 personnes restantes.

Dès lors, les pires craintes se justifient. Surtout que la période de l’aïd est synonyme de promiscuités et de laisser-aller à tout-va. Les déplacements entre régions et villes intérieures se sont intensifiés ces derniers jours et ils reprendront en sens inverse en fin de semaine. Ainsi, les risques de contagion sont-ils démultipliés et le pic des contaminations pourrait être atteint dans les trois semaines.

La pression sur les lits d’oxygène et sur les lits de réanimation avoisine les cent pour cent et les dépasse largement dans certaines régions. D’ailleurs, le ministre de la Santé, M. Faouzi Mehdi, a évoqué ce lundi 19 juillet le nécessaire rationnement de l’oxygène. Autant dire l’administration de la mort lente et à petit feu.

Finalement, l’été pourri se poursuit. L’hécatombe aussi. En raison notamment de l’incompétence du gouvernement et du climat politique de cruelles luttes au sommet de l’Etat, chacun préférant y mettre ses hommes-liges et y avancer ses pions.

S.B.F