Par Soufiane Ben Farhat

Rien ne va plus entre le chef de l’Etat et le Parlement. En effet, M. Kaïs Saïed, président de la République, a décidé d’exercer ses prérogatives constitutionnelles. Il a décidé samedi soir de renvoyer le projet de loi portant amendement de la loi de 2015 sur la Cour constitutionnelle devant l’Assemblée parlementaire pour une seconde lecture. En fait, l’article 81 de la Constitution le lui permet.

L’article 81 de la Constitution

D’ailleurs, c’est on ne peut plus explicite : « À l’exception des projets de loi constitutionnelle, le Président de la République peut, en motivant sa décision, renvoyer le projet à l’Assemblée pour une seconde lecture, dans un délai de 5 jours à compter :

1. De l’expiration du délai de recours en inconstitutionnalité sans exercice de ce dernier, conformément aux dispositions du 1er tiret de l’article 120 ;

2. Du prononcé d’une décision de constitutionnalité ou de la transmission obligatoire du projet de loi au Président de la République, conformément aux dispositions du troisième paragraphe de l’article 121, en cas de recours au sens des dispositions du 1er tiret de l’article 120.

Les projets de loi ordinaire sont adoptés, après renvoi, à la majorité absolue des membres de l’Assemblée, les projets de loi organique sont adoptés à la majorité des trois-cinquième des membres. »

Guerre larvée

D’ailleurs, cela a l’allure d’une énième illustration d’une guerre larvée latente. En effet, c’est révéler un secret de polichinelle que de souscrire qu’il y a, depuis 2019, une guerre de tranchées entre le président de la République d’une part, le chef du gouvernement et le président du Parlement de l’autre. Pourtant, M. Kaïs Saïed a eu tout le loisir de nommer les deux derniers chefs de gouvernement, successivement M. Elyès Fakhfakh et Hichem Mechichi. Résultat, il s’emmêle les pinceaux avec ceux qu’il a nommés !

Quelles perspectives ?

Évidemment, les réactions n’ont pas tardé. Dès le samedi 3 avril en fin de soirée, Ennahdha et ses alliés ont fait montre de leur courroux. Ce qui n’a pas été sans invectives et charges particulièrement virulentes chez certains détracteurs de l’initiative présidentielle. Jusqu’ici ils s’étaient peu souciés de la mise en place de la Cour constitutionnelle. Pourtant, constitutionnellement, elle devait être mise en place au plus tard en 2015. Tant que cela faisait leur affaire, ils s’en passaient volontiers. Mais voilà. Comme Kaïs Saïed refuse d’entériner le remaniement du 16 janvier dernier, ils se sont rendus compte qu’ils ne peuvent le destituer que moyennant la Cour constitutionnelle. Dès lors, ils s’y attèlent. Opportunisme quand tu nous tiens.

Plausible référendum

A bien y voir, c’est l’impasse. Le projet de loi ne risque guère de passer en seconde lecture. Et puis il y a aussi l’article 82 de la Constitution. En effet, le Président Kaïs Saïed compte-y-il en référer ?

L’interprétation est, certes restrictive. Mais au rythme où nous en sommes, on ne sait jamais. L’Article 82 en question stipule ce qui suit : « Exceptionnellement et au cours du délai de renvoi, le Président de la République peut décider de soumettre au référendum les projets de loi adoptés par l’Assemblée des représentants du peuple relatifs à l’approbation des traités internationaux, aux libertés et droits de l’Homme ou au statut personnel. Le recours au référendum vaut renonciation au droit de renvoi. »

Qui interprète la Constitution ?

En toile de fond, la question demeure posée. Qui interprète la Constitution en cas d’absence de la Cour Constitutionnelle ? En fait, le vide plaide en faveur du seul président de la République. En effet, il serait même, dans les conditions actuelles, le seul habilité à pouvoir interpréter la Constitution. Le professeur Slim Loghmani l’a attesté. Et le président de la République ne se prive pas de cette manne factuelle pour ainsi dire.

Reste à savoir comment les députés comptent réagir. La séance d’élection des trois autres membres de la Cour constitutionnelle dont le Parlement dont le Parlement doit s’acquitter était prévue pour ce jeudi 8 avril. Qu’en sera-t-il ? On le saura dans les prochaines heures.

Le blocage sévit

En tout état de cause, pour l’heure, le blocage institutionnel sévit. Tout dépend en dernière instance du bon vouloir du chef de l’Etat. Ce n’est guère rassurant dans les faits, mais c’est une fatalité. En vérité, personne ne pourrait lui en imposer. Et encore moins le destituer, à défaut de l’existence de la Cour constitutionnelle proprement dite.

En fait, on pourrait invoquer la théorie des formalités impossibles. Mais ce n’est qu’une théorie doctrinale et le droit constitutionnel, à l’instar de tout droit, est avant tout tributaire de procédures précises, contestables et récusables en vertus de textes appropriés.

La sortie de crise ? Pour l’instant, seul le consensus à la tête de l’Etat pourrait déclencher un processus salvateur. Autrement, le blocage continuera à sévir. Et les surenchères tariront davantage dans les discours, hélas !

S.B.F