
Au milieu de l’escalade récurrente entre l’Iran et l’entité israélienne, une vérité souvent occultée par le discours médiatique et populaire refait surface : ce qui se déroule actuellement n’est ni un combat pour la Palestine, ni un affrontement entre un « axe de résistance » et un autre dit « soumis », mais plutôt une lutte ouverte pour l’influence et l’hégémonie régionale. Une bataille menée par des outils politiques, militaires et médiatiques, et dont le prix est payé en sang innocent à travers la région.
Par : Nizar Jlidi *

Il est erroné de croire que l’entité israélienne agit pour protéger les Arabes, tout comme il est fallacieux de présenter les interventions iraniennes en Syrie, en Irak, au Liban et au Yémen comme un engagement sincère envers la cause de la nation. Les réalités du terrain et les alliances, tant ouvertes que secrètes, montrent clairement que les deux parties cherchent à étendre leur sphère d’influence et à consolider leur place sur l’échiquier régional, en se drapant de slogans religieux et historiques.
L’inquiétude israélienne vis-à-vis du programme nucléaire iranien n’est ni morale ni liée aux droits de l’homme. Il s’agit d’un calcul stratégique pur: tout changement dans l’équilibre de dissuasion menacerait la supériorité militaire qualitative qu’Israël s’efforce de maintenir dans la région. En face, l’Iran tente de s’imposer comme puissance régionale majeure, non pas par l’unité du monde arabe, mais en fragmentant les sociétés de l’intérieur, en exploitant les divisions confessionnelles et les conflits internes comme leviers d’influence.
Ce tableau complexe ne se prête ni aux lectures émotionnelles, ni aux simplifications. Personne ne se bat pour nous, Arabes. Tous poursuivent leurs propres agendas. Les slogans servent à mobiliser l’opinion, mais les faits démontrent que les peuples arabes sont les grands perdants de chaque cycle de ce conflit.
Quant à la Turquie, elle apparaît comme un troisième acteur tentant de se positionner dans cet échiquier enchevêtré. Ses ambitions régionales sont claires, et ses succès économiques et politiques en font un objet de méfiance, parfois plus que l’Iran, du point de vue israélien. Cependant, elle oscille toujours entre alliances occidentales et intérêts orientaux, et pourrait se retrouver exclue de l’équation si elle ne parvient pas à équilibrer ses positions dans ce moment critique.
Malgré les menaces et l’intensification des tensions, il semble qu’Israël ne cherche pas à renverser le régime iranien, mais plutôt à réduire ses capacités et à contenir son influence dans des limites « tolérables ». Le régime iranien, tel qu’il est, constitue en effet un outil efficace bien que de manière indirecte pour disperser le monde arabe et vider ses causes de leur substance nationale et politique. Ainsi, toute frappe israélienne serait ciblée, sans viser un effondrement total du régime.
Au final, les deux protagonistes sortiront affaiblis : l’Iran sur les plans économique et politique, Israël sur le plan moral, et peut-être militaire mais avec le soutien occidental nécessaire pour se reconstruire. Quant aux Arabes, ils resteront pris entre deux feux, à moins de comprendre que le moment actuel, avec tous ses défis, pourrait aussi être une rare opportunité de se repositionner.
C’est une occasion de redéfinir notre identité, de sortir de la logique des axes et de bâtir un projet politique arabe indépendant, qui ne soit ni subordonné à l’Iran, ni aligné sur Israël, mais ancré dans l’intérêt national et dans la volonté de reprendre en main les décisions que d’autres ont marchandées depuis des décennies.
L’histoire ne pardonne pas à ceux qui attendent trop longtemps. Et la région est à la croisée des chemins… Soit nous devenons des acteurs à part entière, soit nous resterons des notes de bas de page dans les récits des autres.
* Ecrivain, politologue et activiste tunisien