A Tunisian man burns tires as youths block roads in the southern city of Tataouine, on February 12, 2021, to protest against the government's failure to keep its promise to provide jobs and investments. - (Photo by FATHI NASRI / AFP) (Photo by FATHI NASRI/AFP via Getty Images)

Par Soufiane Ben Farhat

Les observateurs, même les plus avertis, se posent des questions sérieuses pour savoir qui fait quoi sous nos cieux. En effet, plus de deux mois après un remaniement ministériel qui demeure en suspens, il semble que le statu quo fasse le délice de bien des partis. Cependant, l’énigme demeure. Qui tient les rênes du pouvoir en fin de compte ?

Le Parlement en perpétuelle décomposition

En fait, le pouvoir fondamental présidant à notre système constitutionnel semi-parlementaire semble piétiner. Le Parlement concentre les incuries. D’ailleurs, les protagonistes s’y neutralisent dans une espèce de cercle vicieux. Cela s’est accentué avec la nouvelle législature initiée à l’issue des élections législatives de 2019.

En fait, trois phénomènes majeurs caractérisent ce Parlement. En premier lieu, ses résultats résultent d’un vote-sanction traduisant le mécontentement populaire. Aucun parti n’y a la majorité fut-elle relative. En effet, c’est une espèce d’archipel de petites minorités qui rivalisent les unes les autres. Elles passent le plus clair du temps à se tirer dans les pattes.

En deuxième lieu, dès sa première investiture, ce Parlement s’est caractérisé par des alliances et contre-alliances à l’opposé des lignes de clivage fondamentales de la campagne électorale. La plus spectaculaire alliance à ce propos est celle qui unit le mouvement Ennahdha et son pare-choc al-Karama au parti Qalb Tounes de Nabil Karoui. D’où, à la base, une propension à l’opportunisme à tout-va.

Tunisia’s presidential candidates Kais Saied (L), 61, an independent conservative academic and business tycoon Nabil Karoui (R), 56, attend a debate before the second round of the presidential elections on October 11, 2019 in Tunis. – The frontrunner in Tunisia’s presidential election runoff are head-to-head tonight against his rival in a rare and highly anticipated televised debate just two days ahead the vote. (Photo by Fethi Belaid / AFP) (Photo by FETHI BELAID/AFP )

Ghannouchi perdant sur tous les fronts

En troisième lieu, Rached Ghannouchi, en même temps président du mouvement Ennahdha, préside ce Parlement. Il était déjà en butte à des dissensions internes sérieuses au sein de son propre parti. Des questions de légitimité, de prépondérance de sa famille et financières y président. Pis, il s’est montré au fil des  jours incapable d’assumer la tâche de président consensuel de l’enceinte parlementaire. De sorte qu’il a fini par perdre la bataille à la fois au sein de son parti et au sein du Parlement. https://www.tunisienumerique.com/rached-ghannouchi-en-haut-de-la-liste-des-plus-grosses-fortunes-de-tunisie/

Le gouvernement sanctionné d’emblée

Par ailleurs, le gouvernement n’est guère en reste. En effet, il succède à l’issue de la faillite de deux gouvernements successifs en quatre mois. Le premier, ce lui de Habib Jomni, n’a même pas reçu l’aval parlementaire. Quant au gouvernement d’Elyès Fakhfakh, il a dû démissionner à cause de forts soupçons de corruption et de conflits d’intérêts dont il fut coupable.

Cependant, remis en cause dès son investiture parlementaire, le gouvernement de Hichem Mechichi se fragilise. En effet, Ennahdha et Qalb Tounes, qui lui avaient donné l’aval parlementaire, avaient expressément dit qu’ils comptaient en changer sept à huit ministres à brefs délais. Il fut depuis l’objet d’intimidations et de surenchères.

Les deux présidences conflictuelles de l’exécutif

En fait, un troisième phénomène endémique plombe la donne. Les différends entre le président de la République Kaïs Saïed et le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, sont à leur paroxysme. Pourtant, le premier avait choisi le second, qui était d’ailleurs son conseiller au Palais de Carthage. D’ailleurs, le remaniement ministériel du 16 janvier 2021 demeure toujours refusé par le président de la République.

Mis à mal par la volonté hégémonique de la présidence sur l’exécutif bicéphale, Hichem Mechichi se cache parapluie d’Ennahdha et de son alliance parlementaire. En fait, son seul souci est de se maintenir quel qu’en soit le prix. Dès lors, l’enjeu est vicié à la base.

L’irruption de Nizar Yaïche

Et puis, il y a le dialogue national pour la sortie de crise. En effet, proposé par la centrale électorale, l’Ugtt, il a piétiné des mois durant. Aux dernières nouvelles, la présidence de la République y a consenti tout en le soumettant à sa propre approche. La semaine écoulée, la présidence de la République l’a relancé via l’initiative de Nizar Yaïche, ex-ministre des Finances, trois mois durant, dans le gouvernement éphémère d’Elyès Fakhfakh.

https://www.leaders.com.tn/article/31619-exclusif-ce-que-nizar-yaiche-et-kais-saied-se-sont-dits-pendant-trois-heures

Cette initiative a fait l’objet d’une réunion de trois heures au palais de Carthage mercredi dernier. Et tout porte à croire, qu’en cas de mise en branle, elle présidera à la nomination de Nizar Yaïche à la tête du gouvernement. Cependant, Hichem Mechichi refuse toujours de rendre le tablier. En fait, s’il sera obligé de le faire d’une manière ou d’une autre, il présentera sa démission au Parlement. Dans ce cas, Ennahdha et Ghannouchi auront tout le loisir de former le nouveau gouvernement.

Plus que jamais, la Tunisie politique se fourvoie. En fait, elle devient carrément ingouvernable. Passe encore s’il ne s’agissait que de la classe politique. Les récentes expériences de la Turquie et du Liban sont instructives. Une classe politique défaillante traîne dans son sillage tout un pays. En effet, l’économique et le social en pâtissent en premier. Et ici comme ailleurs, il n’est de pire sourd que celui qui ne veut rien entendre.

Cependant, on est au moins sûr d’une chose. L’obscur parti de l’ombre, économiquement mafieux et politiquement véreux tient les rênes du pouvoir en Tunisie.

S.B.F