Par : Kamel Zaiem
Cette fois-ci, le Chef du gouvernement risque fort de subir l’effet boomerang d’une décision qui ne semble convaincre personne.
En même temps, le magistrat Imed Boukhris a vu, lui, en une seule journée, de toutes les couleurs. Le matin, il est limogé par Hichem Mechichi de son poste de président de l’INLUCC (Instance nationale de lutte contre la corruption) pour se voir, l’après-midi, atterrir au palais de Carthage en tant qu’hôte de Kaïs Saïed, le président de la République.
On croit rêver, mais il s’agit, malheureusement, de la pure réalité dans un pays qui voit tous ses nobles principes s’envoler un à un dans un paysage politique de plus en plus pourri.
Quelle mouche a piqué le chef du gouvernement pour s’en prendre au président d’une aussi importante instance constitutionnelle mise en place pour lutter contre la corruption ?
Réaction imposée
Pour entrevoir un brin de vérité, il faut revenir à quelques semaines avant, au mois d’avril, pour mieux se situer. Imed Boukhris venait de révéler que l’INLUCC s’apprêtait à soumettre à l’opinion publique quelques dossiers brûlants de corruption qui vont impliquer de grosses têtes au pouvoir. Dès lors, l’homme s’est transformé en « danger public » qu’il fallait coûte que coûte faire taire ou neutraliser.
La réponse n’a pas tardé avec ce limogeage décidé par Hichem Mechichi, inquiet sur le sort de ces dossiers qui impliquent certains de ses protecteurs, notamment parmi sa ceinture politique au Parlement formée essentiellement par Ennahdha, Qalb Tounès et al Karama.
Le fait que le président de la République, mis au parfum de ces dossiers compromettants pour ses adversaires directs, ait accueilli Imed Boukhris le jour même est révélateur à plus d’un titre. D’une part, il a voulu lui assurer son soutien dans un milieu dominé par la corruption, et d’autre part, il a voulu mettre en exergue la décision du chef du gouvernement qui ne doit pas passer sans prouver sa liaison, de manière directe ou même indirecte, avec quelques louches affaires dont les dossiers demeurent encore « enterrés » pour préserver son proche entourage.
Le bal de condamnation
Et comme vient de le confirmer l’ancien magistrat Ahmed Souab qui a également présidé le Tribunal administratif, « la corruption est devenue la règle dans un pays de plus en plus noyé dans le mal alors que l’intégrité fait désormais partie des exceptions ».
Et il suffit de faire le tour des réactions des uns et des autres pour se rendre à l’évidence : le pays est entre les mains des corrompus qui continuent à imposer leur loi malgré les révélations et les preuves qui prennent curieusement place dans les tiroirs pour être entièrement oubliées.
Du côté de l’UGTT, des partis politiques de l’opposition, des ONG les plus actives, des instances et des différentes composantes de la société civile, la réaction fut uniforme avec une condamnation de cette suspecte décision de limogeage au moment où les citoyens et les différentes structures sociales et humaines s’attendaient à voir certains dossiers mettre la lumière sur l’intégrité sérieusement écornée de nos actuels gouvernants et des mafias qui se tiennent derrière pour les tenir en place.
Des moyens fort limités pour pouvoir lutter
Dire, aujourd’hui, que la corruption est devenue la base de gouvernance en présence d’une classe politique incompétente et opportuniste à souhait et qui a déjà fait ses preuves en matière de malversation et de déprédation, ne choque plus. Toutefois, la manière de lutter contre ce fléau de plus en plus envahissant laisse encore à désirer et les structures mises en place ne disposent pas encore de solides moyens pour venir à bout du mal et l’éradiquer à la racine.
Nos hommes politiques, de plus en plus tentés par la corruption, laissent faire une législation qui n’accorde pas aux instances concernées, l’Inlucc en tête, un pouvoir plus renforcé et plus prompt en matière d’exécution.
Pour le moment, Mechichi a creusé un petit écart en mettant de côté un homme « dangereux » et décidé à révéler ces dossiers de corruption. La suite dépendra en large partie de la réaction de la société civile qui doit se montrer encore plus agressive et plus redoutée dans une telle bataille.
Le chef du gouvernement vient de rendre un énorme service à ses protecteurs au Parlement, mais il n’a gagné qu’une bataille car la guerre doit encore durer plus longtemps et ceux qui crient victoire aujourd’hui risquent toujours de le payer demain. Après tout, l’histoire n’est qu’un éternel recommencement et personne ne peut se targuer d’être à jamais invincible.
K.Z.