Par Soufiane Ben Farhat
L’agence de notation Moody’s a annoncé ce 23 février avoir dégradé la note souveraine de la Tunisie à B3, assortie de la perspective négative. Encore un autre enlisement et l’on se retrouvera dans la notation en triple C. L’antichambre de la catégorie D. Celle-ci est en effet le fin fond de l’enfer puisqu’elle signifie la banqueroute totale. L’Etat est alors logé à la case infâme de l’émetteur en dépôt de bilan, sous administration judiciaire ou une autre procédure officielle de liquidation, ou qui a cessé ses activités.
Les officiels vous diront bien, sur un ton obséquieux que la notation ‘BBB’ indique que les possibilités de défaut de crédit sont encore basses. Il est vrai que, dans ce cas, la capacité à respecter les engagements financiers est considérée comme satisfaisante. N’empêche. C’est une espèce de sursis d’autant plus précaire que les conditions commerciales ou économiques défavorables sont susceptibles de porter atteinte à cette capacité. Et puis Moody’s vient de nous classer dans la catégorie B3 assortie de perspectives négatives. Il faut savoir que pour Moody’s, la notation B-/B3 signifie que les obligations sont spéculatives et sujettes à un risque de crédit élevé.
On y est parce que nous avons tout fait pour nous y arrimer
Les notes souveraines sont le résultat de lectures et de bilans croisés fixés en fonction d’informations financières, macroéconomiques et même politiques. Elles intègrent les prévisions des taux de croissance économiques, les indicateurs de base et les décisions budgétaires.
C’est dire que si on y est c’est parce que nous avons tout fait pour nous y arrimer. La Tunisie souffre depuis des années. Notre économie vacille, le chômage s’amplifie, les investissements sont en nette régression, les exportations périclitent. Nos balances commerciale et financière sont en chute libre, le déficit budgétaire est endémique, l’inflation sévit, le Dinar est en nette régression et l’endettement dépasse le PIB.
Mais il faut y ajouter, outre la crise sanitaire de la pandémie universelle du Covid 19, la crise politique qui plombe l’économie. Elle aggrave également les déséquilibres sociaux et monétaires.
En effet, nous avons réussi la « prouesse » d’avoir aligné, en 10 ans, neuf chefs de gouvernement, treize gouvernements et 415 ministres dont onze sont encore en ballotage. La grave crise au sommet de l’Etat opposant le président de la République au chef du gouvernement et au président du Parlement, alourdit la donne. Dès lors, l’atmosphère est devenue encore plus viciée. Spéculations, thésaurisations et réseaux de contrebande ont pris le relais des agrégats économiques gangrenés par une corruption diffuse et un environnement des affaires pourri.
Absence de perspectives
Même les investissements directs étrangers régressent. A l’heure où l’on assiste à des redéploiements d’envergure des économies voisines, notamment au Maroc, en Egypte et bientôt en Libye, nous végétons dans un cercle démentiel émaillé de luttes de factions et d’egos. A force de caresser un cercle, il devient vicieux, dit-on. Nous y sommes et les protagonistes de la place semblent même s’y délecter.
Le pire, c’est que la classe politique aux commandes du gouvernement et de l’Etat souffre de l’indigence de ses perspectives économiques et sociales. Au cours des dernières années, ils ont aligné les promesses et les déclarations d’intention les plus généreuses, en rouleau chinois. Tel fut le cas du Plan de développement économique et social 2016-2020 ou de la conférence Tunisie 20-20 tenue les 29 et 30 novembre 2016 à Tunis. Elle fut baptisée « conférence Internationale pour l’investissement ou Tunisie à l’horizon 2020, sur le chemin de l’intégration, de l’efficacité et de la durabilité ». son but était de relancer l’économie et les investissements en Tunisie. Elle fut organisée en grande pompe à Tunis. Soixante-dix pays et plus de 1.000 participants, dont des dizaines d’entreprises et d’institutions économiques nationales et internationales, y ont pris part. Le coût total des projets annoncés alors par les participants publics, privés et mixtes s’élève à environ cinquante millions de dollars.
Actuellement, on n’en parle même plus. Ce fut lettre morte. Entretemps, quatre chefs de gouvernement se sont succédé au portillon de la Kasbah. Alignant, il va sans dire, le même bilan d’incurie et de faillite.
Nécessaires pactes d’intégration régionale
Maintenant, le vin est tiré et il faut le boire. Il est impérieux de renverser la vapeur. Encore faut-il que les dirigeants politiques assument une espèce de paix des braves autour du corpus commun de l’économie et des réformes économiques. Jusqu’ici, on gère les petits enjeux au petit bonheur la chance sur fond de calculs de boutiquiers. Mais on souffre de l’absence de grands projets structurants. L’intégration dans de grands pactes régionaux fait aussi défaut. L’isolationnisme ne saurait frapper aux portes du futur. C’est la régression absolue, le grand enfermement.
Pas plus tard que ce vendredi 23 février, le président de la République, M. Kaies Saied, a invité les ambassadeurs des pays européens en Tunisie. https://www.facebook.com/watch/?v=702383680407822¬if_id=1614021368458542¬if_t=watch_follower_video&ref=notif. Les questions économiques ont été abordées, et l’on ne peut que s’en réjouir. Mais, par-delà le cérémonial, encore faut-il que l’intendance suive.
L’Italie voisine en exemple
En Italie, le nouveau chef du gouvernement Mario Draghi, a bénéficié la semaine dernière du vote de confiance quasi-unanime de tout l’éventail politique. De l’extrême-droite à la gauche radicale. Et pour cause, il n’a qu’un seul mot-d’ordre en guise de programme : la reconstruction de l’Italie.
Il est vrai aussi qu’il s’agit d’un homme rompu aux affaires économiques. Ancien Gouverneur de la Banque d’Italie, ayant officié longtemps au Trésor, où il avait procédé à plus de sept-cents privatisations, il a été aussi, de 2011 à 2019, le président de la Banque centrale européenne. Il y a traité notamment les problèmes grec, italien et espagnol aux pires moments de leurs crises économiques et financières respectives.
Pour nous, il y a une seule alternative, rebondir maintenant ou sombrer à jamais. Il n’y a guère d’autre voie. La nécessité historique est sourde. Et l’histoire est le meilleur juge du vécu et du legs des hommes politiques. Jusqu’ici sous nos cieux depuis la révolution de 2011, ceux qui s’y sont frottés portent une couronne d’épine. Il est temps de redorer le blason de la gloire.
S.B.F