Par Soufiane Ben Farhat
Ils sont en grande majorité des hommes, plutôt vieux, sans attaches avec la société civile et les organisations de masse et, pour une bonne part, organiquement versés dans la corruption. En effet, telles sont les caractéristiques principales de l’opposition dite démocratique tunisienne, ou qui se proclame ainsi. Quant aux intégristes, ils les chapeautent en quelque sorte. Ce qui en rajoute à la méfiance populaire désormais quasi-innée à l’endroit de ceux qui tiennent le haut du pavé.
Instrumentalisations
En fait, l’opposition tunisienne n’a pratiquement rien à voir dans la révolution de 2011. En vérité, celle-ci fut spontanée, sans chef ni programme, et encore moins un attirail idéologique. Sitôt le gouvernement de Ben Ali renversé, les opposants de tout poil ont rappliqué de tout bord.
Au fil des jours, ils ont accaparé la révolution. De fait, son fleuve fut détourné au profit des arrivistes grimés en partis. De 2011 à 2019, les Tunisiens ont voté huit fois. Les partis hier encore marginaux ou tout simplement incognito se sont emparés du pouvoir. Le système électoral, soigneusement conçu et concocté à cet effet, les a avantagés.
A bien y voir, en Tunisie, comme en Italie dans l’après-guerre, la partitocratie a vu le jour. Les mafias aussi.
L’irruption des mafias politiques
A de rares exceptions près, les mafias investirent les partis politiques dix années durant. Entretemps, le pays alla de mal en pis. La situation économique et politique a empiré. La pauvreté se répandit, le chômage augmenta et la hausse des prix des denrées et services de base devint endémique et insupportable.
En fait, paradoxalement, comme cela se vérifie dans les pays à faible tradition libérale et démocratique, la mafia devint un succédané de la bourgeoisie. Plutôt un fatras de bureaucrates captant les dignités, de rentiers improductifs et d’arrivistes reconvertis en dignitaires improvisés. La « bourgeoisie » islamisante s’empara du pouvoir. Les bourgeois et dignitaires de l’ancien régime et traditionnels, soumis au racket, furent mis au pas.
Discrédit largement partagé
Au cours des dernières années, l’économie tunisienne fut disloquée. L’endettement, surtout extérieur, sévit. Le produit national brut régressa pour la première fois depuis 1962. Il recula de 12% de surcroît. La corruption gagna du terrain. Les nouveaux riches redoublèrent d’exactions et de détournements de fonds sous diverses appellations et d’astuces légales. Le terrorisme, alimenté en sous-mains par Ennahdha, créa de nouvelles grimaces de la peur et de l’horreur. Des centaines de Tunisiens y périrent.
Exsangue, pressurée à vif, pataugeant dans l’insécurité et l’angoisse du lendemain, la population tunisienne mit en cause la classe politique aux commandes. Elle pointa son doigt accusateur, vociféra. Le discrédit frappa indistinctement tous les élus, plus de 7500 personnes si on prend en compte les élus municipaux. L’opprobre et la vindicte populaire les frappa de plein fouet.
Kaïs Saïed, en Monsieur propre
En fait, cela explique la très large popularité de Kaïs Saïed, le président de la République. Son coup de force constitutionnel du 25 juillet dernier fut acclamé par des foules en liesse une nuit durant. Cela signifia, à leurs yeux, la fin de la plus piteuse des récréations. Ses détracteurs l’accusent de populisme, d’avoir fomenté un coup d’Etat et de penchants autoritaires. Cela peut sembler vrai sous certains aspects. En revanche, le peuple lambda et de larges franges de la classe moyenne voient en lui Monsieur propre. Ce qu’il est certainement.
En vérité, malgré son investissement dans la blogosphère et les accointances étrangères, l’opposition à Kaïs Saïed est en manque de crédibilité. Elle est clairsemée, à la limite de l’inconsistance, louche et douteuse aux yeux du peuple.
Privée de son lieu de gesticulation privilégiée, le Parlement, l’opposition enrage. Parce qu’en fait, elle ne sait que gesticuler dans l’hémicycle. Autrement, elle se contente de bayer aux corneilles.
Bras de fer
Bien évidemment, il ne saurait y avoir de démocratie sans instances représentatives. Tout comme il ne saurait y avoir de vie politique sans partis. Toutefois, ces derniers gagneraient à ne pas officier comme des coquilles vides. Bien pis, ils s’amassent désormais dans une nébuleuse d’alliances contre-nature. Ainsi trouve-t-on des figures de la défunte gauche à la tête des manifs d’Ennahdha et de ses pare-chocs de l’extrême-droite islamiste.
Le bras de fer promet d’être long entre les partisans de Kaïs Saïed et ceux d’Ennahdha chapeautant l’opposition. Mais celle-ci souffre de ses propres tares. Elles l’étouffent.
Dépourvue de véritables chefs charismatiques ou crédibles, l’opposition à Kaïs Saïed vivote à la peine. Comme quoi qui sème le vent récolte la tempête. Et qui cultive l’inconsistance cumule les échecs.
S.B.F