Par Raouf Ben Rejeb
Après une longue attente-depuis la révocation de l’ex-chef du gouvernement Hichem Mechichi le 25 juillet dernier- et une laborieuse gestation puisque la cheffe du gouvernement désignée a mis une douzaine de jours pour former son équipe, le gouvernement de Najla Bouden Romdhane a été finalement formé et entré rapidement en fonction ce lundi 11 octobre 2021 avec la cérémonie de prestation de serment.
Un air de normalité
Même si le moment est historique puisque pour la première fois dans l’histoire de la Tunisie, une femme est investie pour diriger le gouvernement, il y a comme un air de normalité dans l’air. Le cabinet a été formé, le décret y afférent a été signé et la cérémonie de prestation de serment a été organisée dans la foulée. Le tout s’est déroulé comme du papier à musique dans une ambiance de gravité qui sied aux mesures d’exception que vit le pays depuis deux mois et demi. Le choix d’un début de semaine à une heure normale, ce qui a permis la transmission de la cérémonie dans son intégralité sur la télévision et la radio nationale n’est pas fortuit. Il participe de ce souci de normalité que l’on voulait attacher à la formation du gouvernement sous l’autorité du président de la République en sa qualité de détenteur unique du pouvoir exécutif.
Un gouvernement resserré et une structure légèrement remaniée
Avec 25 membres y compris la cheffe du gouvernement, l’équipe de Najla Bouden Romdhane est l’une des plus resserrée depuis la révolution. Pour ne citer que les derniers gouvernements, ils comptaient entre 40 membres (Youssef Chahed) et 29 membres (Hichem Mechichi). Même si le gouvernement Bouden a gardé la même structure que les cabinets précédents, il compte néanmoins des nouveautés. Ainsi si le ministère de l’Environnement reprend son autonomie, celui des affaires locales que cumulait le même ministre a été supprimé et ses attributions devaient normalement revenir au ministère de l’Intérieur. Le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Appui à l’investissement éclate en deux : les Finances d’un côté et l’Economie et la Planification de l’autre. Ce dernier département reprendrait les compétences que remplissait l’ancien ministère de la coopération internationale et de l’investissement. Le ministère de la Jeunesse et des Sports va se délester de l’Intégration professionnelle qui redeviendra un ministère plein sous son ancienne dénomination de ministère de la formation professionnelle et de l’emploi.
Une équipe plus féminisée formée essentiellement de technocrates
Alors que l’on annonçait un gouvernement respectant la parité hommes-femmes, on se retrouve avec une équipe largement féminisée avec 10 femmes sur 24 entre ministres et secrétaire d’Etat si l’on compte la cheffe du gouvernement. Avec 42% de femmes, le gouvernement Bouden est le plus féminisé de l’histoire de la Tunisie. Cette équipe est formée essentiellement de technocrates rompus aux questions qui rentrent dans les attributions de leur département respectif. Si on excepte le ministre de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine et celui des Affaires Sociales, Malek Ezzahi qui furent des coordinateurs de la « campagne explicative » du candidat Kaïs Saïed, tous les autres ont un profil technocratique pur. On remarque une importante proportion de juristes pour la plupart des diplômés de la Faculté des Sciences Juridiques où enseignait l’actuel président de la République. C’est le cas notamment du ministre de la Défense nationale, Imed Memmiche.
La plupart des ministres ne sont pas des inconnus dans les départements dont ils ont désormais la charge. Ainsi la nouvelle ministre de l’Industrie et de l’Energie Neila Nouira Gongi occupait le poste de Directrice générale des Stratégies industrielle au Ministère de l’Industrie et des Petites et Moyennes Entreprises.
Quant à Sarra Zaafrani Zanzri, nommée ministre de l’Equipent et de l’Habitat, elle est ingénieure générale spécialisée en aménagement territorial, elle a notamment occupé le poste de cheffe de l’unité de gestion des objectifs au sein du ministère de l’Equipement et de l’Habitat. Le nouveau ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la pêche, Mahmoud Elyes Hamza, professeur universitaire en mécanique agricole était directeur de l’Institut National Agronomique de Tunisie (INAT).Il a, également, dirigé l’Institution de la Recherche et de l’Enseignement supérieur agricole (IRESA) relevant du ministère de l’Agriculture.
Les maintenus et les revenants
Najla Bouden Romdhane garde seulement deux ministres qui furent membres de l’équipe de son prédécesseur Hichem Mechichi. Ce sont le ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger Othman Jerandi et le ministre de l’Education, Fathi Sellaouti.
On compte aussi trois revenants remerciés par l’ancien chef du gouvernement Hichem Mechichi après avoir fait partie de son premier gouvernement. Il s’agit de Leïla Jaffel qui hérite de l’important ministère de la Justice alors qu’elle avait dirigé le ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières. Une promotion fulgurante pour cette magistrate qui n’a pas laissé de bonnes impressions dans ses fonctions antérieures. Les deux autres ont regagné leur ancien département, Taoufik Charfeddine à l’Intérieur (élargi probablement aux Affaires locales) et Kamel Deguiche à la Jeunesse et aux Sports. Le retour de ce dernier risque de mettre de l’animation dans le secteur, puisque un bras de fer s’était fait jour entre ce dernier au tout-puissant président de la Fédération tunisienne de football, Wadii el-Jary et un contentieux l’opposait au président de la Fédération tunisienne de volley-ball, Firas El Faleh.
Avec le retour de ces trois ministres, la preuve est administrée qu’ils étaient titulaires de leur poste avec l’appui du président Kaïs Saïed qui les remet en selle dès que le pouvoir de nomination lui a été restitué.
Enfin trois chargés des fonctions de ministre sont confirmés dans leurs fonctions, il s’agit de Sihem Boughdiri Nemsia qui garde le ministère des Finances et perd l’Economie et l’Appui à l’investissement, de Ali Mrabet à la Santé et de Nizar Ben Néji aux Technologies de la Communication. Un seul chargé des fonctions de ministre n’a pas cette chance, et c’est Ridha Gharsallaoui qui probablement reprendra ses anciennes fonctions à la sécurité présidentielle.
L’UGTT ne perd pas au change
L’UGTT qui était indirectement présente dans l’ancien gouvernement, par l’entremise de l’ancien dirigeant de la centrale syndicale, Mohamed Trabelsi qui était ministre des Affaires sociales dans plusieurs gouvernements ne perd rien au change. En effet, le nouveau ministre de ce département, Malek Zahiest, selon sa biographie le fils du syndicaliste et ancien secrétaire général adjoint de l’UGTT Mohamed Moncef Zahi et petit-fils d’Abdjaouad Zahi, l’un des fondateurs du mouvement national tunisien en 1930. Particularité de Malek Zahi, selon sa biographie c’est qu’il était militant de l’UGET, le syndicat étudiant et qu’il a été directeur de la campagne électorale de Kaïs Saïed en 2019 pour la circonscription électorale de La Manouba. Il a, aussi, ajoute-t-on coordonné, pendant la période du gouvernement Mechichi, entre l’UGTT, les organisations de la société civile et la présidence de la République.
Le gouvernement Bouden, sous l’autorité du président de la République Kaïs Saïed désormais seul maître à bord est enfin à l’œuvre. Il doit se mettre au travail et il n’a pas droit à l’erreur.
RBR