« Ennahdha, les autres partis et la société civile se battront pour récupérer leur Constitution et leur démocratie » a déclaré jeudi le président du mouvement islamiste Rached Ghannouchi dans un entretien à l’agence France Presse. Il a appelé en même temps à une « lutte pacifique contre le pouvoir absolu d’un seul homme » au lendemain de la publication par le président Kaïs Saïed d’un décret présidentiel par lequel il s’octroie quasiment tous les pouvoirs.
C’est de la part de Ghannouchi un appel creux à l’ensemble des forces politiques pour le rejoindre dans « cette lutte ».
Evidemment les autres partis comme les forces sociales ne l’entendront pas de cette oreille. Lui-même reconnaît qu’Ennahdha « était partiellement responsable » de la crise qui avait motivé le 25 juillet dernier le président de la République à s’arroger les pleins pouvoirs.
Le dilemme de la classe politique
C’est d’ailleurs bien là le dilemme de la classe politique comme de la société civile à la suite de ce que beaucoup considèrent comme le retour à l’autoritarisme sinon à la dictature d’une seule personne.
Quand bien même, ils partagent la même analyse et parviennent à la même conclusion, personne ne veut prendre le risque de s’aligner dans le même camp que le parti Ennahdha considéré comme le responsable de la situation ayant conduit Kaïs Saïed à entreprendre son « coup de force ».
C’est l’échec du parti dirigé par Rached Ghannouchi à conduire la transition démocratique à bon port, puisqu’il a été de tous les gouvernements depuis 2011, qui est pointé du doigt. De plus la présidence du Parlement par le chef d’Ennahdha est rendue responsable de l’image exécrable donnée par cette assemblée considérée comme « un cirque » ou « un ring de combat où le sang a coulé ».
Seul le parti Qalb Tounes dont le président Nabil Karoui est incarcéré en Algérie pour « franchissement illégal de frontières » partage le même « combat ». L’autre partenaire de la coalition partisane ayant servi de « coussin politique » au chef du gouvernement limogé, Hichem Mechichi, Al Karama est trop occupé par les affaires judiciaires dont ses dirigeants sont accusés pour pouvoir prêter main forte à Ennahdha.
Une opposition en rangs dispersés
Si certaines formations comme le mouvement Echaab et al-Watad (parti des patriotes démocrates unifiés, représentés au Parlement, le second par un seul député à savoir Mongi Rahoui ont pris le parti de soutenir les actions de Kaïs Saïed, c’est donc en rangs dispersés que les partis politiques se présentent pour marquer leur opposition aux décisions prises par le chef de l’Etat. Certains avaient du reste applaudi son geste du 25 juillet, tant qu’il avait la couverture constitutionnelle mais ont marqué leur opposition aux « mesures exceptionnelles » considérées comme une suspension de facto de la loi fondamentale.
Ainsi quatre mouvements, l’Union populaire républicaine (UPR) le mouvement Harak Tounes Al Irada , le parti Al Irada Chaabia et le Mouvement Wafa ont annoncé la formation du Front démocratique pour lutter contre ce qu’ils considérent comme ” un coup d’Etat”. Le Front démocratique cherche, selon la même source, à défendre la volonté du peuple, ses intérêts ainsi que les libertés, l’Etat de droit et la Constitution. Ces partis ont indiqué que Kaïs Saïed « constitue un danger pour le pays et l’unité nationale » ajoutant qu’il a « enfreint la loi et a prononcé un discours haineux visant à diviser les Tunisiens ».
Sans aller jusqu’à unir leurs efforts, quatre autres formations publient un communiqué conjoint. En effet, le Courant démocrate, le parti Ettakatol (Forum pour le travail et les libertés), Al-Joumhouri et Afek Tounes estiment de leur côté que le décret présidentiel relatif aux « mesures exceptionnelles » paru le 22 septembre constitue « une transgression de la légalité et un putsch contre la Constitution que le président de la République a juré de protéger et une manière de pousser le pays vers l’inconnu ».
Néanmoins ces quatre formations se démarquent d’autres composantes de la classe politique en rejetant « le retour à la corruption et au chaos ayant marqué l’avant 25 juillet 2021, comme elles refusent le retour à la dictature d’avant 17 décembre-14 janvier conduisant nécessairement à la corruption et à la marginalisation ». Elles affirment « continuer la coordination entre eux ainsi qu’avec les partis démocratiques et les organisations nationales pour la formation d’un front civil politique à même de contre ce coup d’Etat constitutionnel et répondant aux attentes légitimes des Tunisiens ».
Le parti le plus en flèche contre Kaïs Saïed
Paradoxalement, le parti politique qui a été le plus dur contre les décisions prises par Kaïs Saïed a été le parti des Travailleurs ainsi que son principal dirigeant Hamma Hammami. Ayant été le plus en flèche à dénoncer au lendemain du 25 juillet « le coup d’état », ce parti a estimé que le décret en date du 22 juillet constitue « un parachèvement de l’opération putschiste, menée le 25 juillet dernier, par l’usage abusif de l’article 80 de la Constitution ». Il ajoute que ce décret stipulant une organisation provisoire des pouvoirs publics, signifie incontestablement la suspension de la constitution et la mise en place d’un nouveau régime contraire aux aspirations révolutionnaires du peuple tunisien. Il exprime, dès lors, son rejet de cette démarche qui « instaure un pouvoir personnel absolu et despotique, contraire aux aspirations du peuple tunisien » et annonce son engagement dans la lutte contre cette démarche.
Toutefois, le PT prend soin de faire assumer au mouvement Ennahdha et à ses alliés, la responsabilité de la situation actuelle du pays et appelle les forces politiques, sociales, civiles, progressistes et démocratiques à l’action conjointe, pour « faire face à ce processus et mettre un terme à cette manipulation dangereuse du destin du pays ».
Il est fort à parier que cette aspiration à former « un front uni » des forces opposées à la démarche de Kaïs Saïed restera un vœu pieux. Du reste le chef de l’Etat mise sur « les rangs dispersés » de la classe politique pour aller de l’avant dans sa volonté de concrétiser son projet politique. Lui qui abhorre les partis politiques est heureux de les voir incapables de serrer les rangs pour lui faire face ;
RBR