Par Brahim Oueslati
Plus de 2 millions 300 mille élèves de tout âge s’apprêtent à retrouver, demain 15 Septembre, les bancs de l’école. Ils seront encadrés par près de 155.000 enseignants, entre primaire et secondaire.
Selon le ministre de l’Éducation, Fethi Sellaouti, « la rentrée des classes se fera, cette année, dans les délais et sans recours au système des groupes, notant que la vaccination intensive contribuera à une rentrée scolaire normale ». Il a indiqué, au cours d’une conférence de presse tenue, hier, que « le coût de l’élève du premier cycle de l’enseignement de base (primaire) est passé de 1090 dinars en 2010, à 1750 dinars actuellement. Alors que celui de l’élève du secondaire a doublé pour atteindre, cette année, les 3400 dinars ».
Toutefois, malgré un budget de 6.743 millions de dinars au cours de 2021, qui a enregistré une hausse de 3.3% par rapport à 2020, et dont plus de 95% vont aux salaires, le ministère se trouve en butte à plusieurs difficultés à la fois structurelles et conjoncturelles, qui traduisent les maux de l’école tunisienne.
Un système inégalitaire
On le sait déjà, les maux de l’école ne datent pas d’aujourd’hui, même s’ils se sont accentués au cours des dernières années. Ils sont connus de tous les intervenants, parents, élèves, enseignants, directeurs des établissements scolaires, syndicats et bien entendu ministère de l’éducation qui s’en plaignent tout le temps. On dirait qu’un plan sournois a été établi pour détruite l’école publique et abrutir nos enfants.
Les trois réformes initiées depuis l’indépendance (1958, 1991 et 2002) ont donné des résultats parfois mitigés. Inutile de rappeler les remèdes thérapeutiques qui ont, jusque-là, été appliqués, mais qui n’ont fait qu’empirer la situation et les improvisations qui n’ont fait que pourrir le climat autour de l’école. L’école tunisienne est devenue comme un laboratoire et les élèves des cobayes sur qui on a réalisé plusieurs expériences sans succès. On ne change pas l’école à la pièce pour « satisfaire les geignards du moment », car cela pourrait la faire dévier de sa mission principale « d’instruire, de socialiser et de qualifier ».
Notre système éducatif s’est avéré, au fil des ans, un système inégalitaire. Deux données relevées dans le document du «plan stratégique 2016-2020» élaboré par le ministère de l’éducation, montrent que les inégalités se creusent davantage entre les régions. Au niveau de l’enseignement préscolaire, où le taux de couverture moyen est de 45.6% seulement, c’est le grand écart entre les gouvernorats dits nantis et les autres. A Tunis 2, il est de 96.8%, alors qu’à Kasserine, il est de 44.2% seulement. Il en est de même du rendement interne dans l’enseignement primaire où le taux moyen de passage de classe est de 91.5% et c’est encore Tunis 2 qui se trouve en tête avec 96.7% contre 85.3% pour Kasserine qui clôt le classement derrière Kairouan avec 85.9% et Tataouine avec 87.7%. Mais c’est au niveau des résultats au baccalauréat que ces inégalités deviennent plus criardes. Entre Sfax 2 et Sfax 1 avec respectivement 73% et 72% et Jendouba 43.% et Gafsa 43%, il n’y a pas photo.
Comme on le constate, les chiffres sont têtus et parlent d’eux-mêmes. Les disparités sont perceptibles et « prennent leur source dans les cycles inférieurs, à savoir l’école de base et le secondaire, et se révèlent clairement au niveau des résultats du baccalauréat ». La scolarisation massive n’a pas suffi à réduire les inégalités avec les régions qui sont, en fait, mal nanties en matière d’infrastructures et de moyens de transport, surtout quand on sait que 60% des écoles primaires se trouvent dans des zones rurales et que la plupart d’entre elles sont dépourvues d’eau potable. On a vu des élèves parcourir des kilomètres pour parvenir à leur école, bravant tous les dangers mais avec l’espoir de réussir dans leurs études. Seulement le tiers des gouvernorats ont un taux d’adduction de 100%, alors que d’autres comme Kasserine avec 61% et Kairouan avec 62% doivent attendre encore des années pour être complètement desservis.
Véritable mammouth
Quand le ministre de l’éducation annonce que plus de 500 établissements scolaires qui ont plus de cinquante ans doivent être réhabilités d’urgence parce que menaçant ruine et que des internats sont en piteux état, on comprend l’énormité de la tâche qui attend les responsables de l’éducation. A lui seul, le ministère de tutelle, malgré un important budget, n’arrivera jamais à réaliser tous les travaux de rénovation, réparation, entretien et maintenance. Sans l’engagement et la participation de tous les intervenants dans la vie scolaire, directeurs d’établissements, enseignants, parents d’élèves, société civile, hommes d’affaires…
Des solutions, comme la création des associations de travail et développement dans les écoles primaires, ont été essayées mais elles n’ont pas abouti, pour la plupart aux résultats escomptés. Pour des raisons inhérentes à leur fonctionnement même mais aussi à cause de cette épée de Damoclès qui pèse sur la tête des directeurs, pas formés à la gestion, à savoir l’inspection administrative et financière qui les considère comme « corrompus » jusqu’à preuve du contraire. Il y a aussi le peu d’engouement des parents, le manque de volontarisme de la société civile et le peu de participation des entreprises voisines.
Véritable mammouth, l’éducation a de tout temps bénéficié d’un budget important mais dont plus de 95% vont aux salaires. Que reste-t-il pour la maintenance et les nouvelles constructions? Des miettes seulement. Aujourd’hui, ministère et syndicats de l’enseignement s’accordent sur le constat. Ils ont à cœur de sauver l’école et de réformer le système éducatif. Mais ils ne parlent pas le même langage, d’où ce blocage fortement préjudiciable. Entre-temps, l’école s’enfonce dans la crise et n’accueille plus que les enfants pauvres. Elle ne fonctionne plus comme ascenseur social. Et c’est toute la société qui s’en ressent.