Alors que l’opinion publique continue de débattre de la visite de la délégation du Congrès américain qui a suscité la réprobation de l’ensemble des Tunisiens, les ambassadeurs du groupe du G7 publient, hier lundi, une déclaration assez surprenante, qui constitue une première dans les rapports avec la Tunisie.
Sur le plan forme, la déclaration a été rédigée dans termes diplomatiquement corrects, selon l‘ancien ministre des affaires étrangères Ahmed Ounaies qui a précisé, ce matin les ondes de Shems FM, qu’il s’agit « des principaux partenaires du pays » dont les économies représentent désormais 40% de la richesse mondiale. Elle serait à l’intiative des Américains qui ont multiplié les contacts avec le président de la République Kais Saied, par l’intermédiaire de la vice-présidente Kamal Harris, le secrétaire d’état aux affaires étrangères, Antony Blinken, le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, ou encore des délégations officielles ou du Congrès qui sont venues le rencontrer au palais de Carthage.
Toutefois, la déclaration n’a pas fait dans la dentelle en soulignant, notamment, « le besoin urgent de nommer un nouveau Chef du Gouvernement, pour former un Gouvernement apte à faire face aux crises économique et sanitaire auxquelles le pays est confronté, et de créer un espace inclusif de dialogue sur les réformes constitutionnelles et électorales proposées ». Tant il est vrai que la nomination du chef du gouvernement se fait toujours attendre et que le chef de l’Etat n’as encore annoncé sa feuille de route pour la prochaine étape.
Ingérences dans les affaires intérieures
De là à voir dans cette déclaration une ingérence dans les affaires intérieurs du pays, c’est un pas que l’ancien député Dr Sahbi Ben Fredj n’a pas hésité à franchir. C’est « un scandale » a-t-il écrit dans sa page Facebook. Il compare la déclaration publiée par les ambassadeurs à Tunis du Groupe des sept pays les plus industrialisés à ce qui s’était passé avec les « consuls des pays occidentaux » préfigurant la « commission financière » ayant été à l’origine de la colonisation de la Tunisie à la fin du XIX ème siècle.
Selon lui, la lecture de cette déclaration contient des recommandations auxquelles on ne peut pas échapper, à savoir le retour à un régime démocratique avec un Parlement élu et effectif, la désignation rapide d’un chef de gouvernement et la formation d’un gouvernement capable de gérer les dossiers du pays, des réformes constitutionnelles et électorales qui soient le fruit d’un dialogue global, le respect des droits et des libertés tout cela contre un engagement réitéré de soutenir l’économie tunisienne.
Sahbi Ben Fredj ajoute que cette déclaration est le résultat direct d’un mois et demi d’atermoiements, d’hésitations, d’immobilisme et de l’écoute de cercles restreints de partisans, ce qui a eu pour effet de manquer l’occasion de l’anticipation et de perdre par la même l’initiative.
Néanmoins, il estime que cela n’est bien entendu que le résultat normal de dix années d’absurdité politique qui ont conduit à la faillite de l’État et à la dépendance de sa décision souveraine vis-à-vis de ses créanciers.
« Bien sûr, une telle déclaration, encore plus insultante, était attendue et prévisible, et d’autres déclarations pourraient suivre », conclut-il.
Pas un » coup d’état »
La lecture de Ben Fredj n’est pas partagée par l’ancien ministre, le professeur de droit Sadok Chabane qui estime, par contre, que la déclaration des ambassadeurs du G7 est très claire. Pour lui, « ces pays sont au courant des détails de ce qui se passe et savent ce qui est requis ». Il explique en dix points, les messages distillés et les « recommandations » formulées.
D’abord, le groupe du G7 dit comprendre les mesures exceptionnelles prises par le président de la République Kais Saied et y voient « une réponse aux revendications du peuple.» Ce n’est donc pas « un coup d’état » comme ont cherché à faire passer le mouvement Ennahdha et ses alliés. Toutefois, explique Chabane, le G7 renvoie à l’importance de clarifier le cap et à annoncer une feuille de route claire par le Chef de l’Etat. Il estime que les réformes politiques sont nécessaires et incluent principalement la Constitution et le système électoral, tout en mettant l’accent sur la mise en place d’une nouvelle gouvernance caractérisée par « l’intégrité, l’efficacité et la transparence » qui rompt avec la corruption et réhabilite l’état.
Mais, ce nouveau système ne doit pas être, selon lui, « présidentialiste – ce que nous, qui sommes spécialistes de la rédaction des constitutions, craignons – mais plutôt un système présidentiel correct, dans lequel le Parlement joue un rôle prépondérant, avec un équilibre entre les pouvoirs.
Le communiqué est très clair en ce qui concerne le respect droits et libertés, ainsi que les valeurs démocratiques, conditions sine qua non pour la pérennité des relations entre la Tunisie et le G7, termine-til.
Annonce de la mort de l’ARP
A son tour, l’avocat et chercheur en droit constitutionnel Rabeh Khraifi, estime que la déclaration comprenait de nombreux points et références, dont le plus important est la distinction, dans la version arabe, entre le « retour à un système « constitutionnel » et non « le système constitutionnel », c’est-dire pas de retour au système actuel édicté dans la Constitution de 2014, mais plutôt à un nouveau système constitutionnel qui réponde aux exigences du peuple tunisien.
Elle a également parlé du retour à une assemblée élue, et non au parlement actuel. Selon lui, cette déclaration a annoncé la mort du parlement élu en 2019.