Par : Kamel Zaiem

 Il est vrai qu’en Tunisie, les citoyens ont appris, depuis une décennie, à voir de toutes les couleurs, mais pas au point de voir la confusion régner comme c’est le cas aujourd’hui.

Au moment où les Tunisiens suivent fièrement les performances remarquables et historiques de la tenniswoman Ons Jabeur qui fait parler de la Tunisie dans le monde entier, nous assistons encore à des séances plénières plus que mystérieuses et indignes d’un pays qui se vante, depuis 2011, d’être un modèle en matière de démocratie et de disposer de la « meilleure » Constitution au monde !

Une plénière détournée

Au Parlement, la séance de ce lundi était consacrée à l’examen et l’approbation du projet de loi sur la relance économique et la régularisation des infractions de change.  Sans entrer dans les détails de ce projet de loi qui pourrait être d’un grand secours pour une économie agonisante et en manque d’initiatives sérieuses pour la relancer, il convient de rappeler que cette plénière a été chamboulée en raison de la suspension de la diffusion en direct des travaux de l’Assemblée à la télévision après un changement de salle inopiné décidé par le bureau du Parlement sans en avertir les députés et sous prétexte de la nécessité de désinfecter l’hémicycle. Il va sans dire que cette décision a provoqué l’ire des députés de l’opposition qui y voyaient une manière de les contourner pour faire passer cette nouvelle loi sans aucun risque de rejet de la part des partis qui ne font pas partie de la coalition actuellement au pouvoir constituée du parti islamiste, de Qalb Tounès et d’Al Karama.

Loin de l’hémicycle du Parlement, la gestion de la crise sanitaire fait couler beaucoup d’encre et de salive. La Tunisie, en manque flagrant de vaccins, a même vu quelques centres de vaccination fermer la porte et reporter leurs rendez-vous pour au moins une semaine, le temps de voir arriver de nouvelles quantités de vaccins offertes par des pays amis (Egypte, Arabie Saoudite, France, Qatar, Emirats…). Cela veut dire que, désormais, on navigue à vue d’œil, sans aucune stratégie en l’absence de la matière principale qu’est le vaccin.

Pandémie politique !

Face à cette inquiétante situation, certaines voix s’élèvent à présent pour exhorter le président de la République à mettre tout son poids pour remédier à ce dramatique état des lieux, permettre au peuple de jouir de son droit à la santé et au vaccin et surtout pour sauver des vies humaines car le bilan est devenu catastrophique et il risque d’être beaucoup plus lourd. D’ailleurs, Kamel Akrout, le contre-amiral à la retraite et ancien premier conseiller à la sécurité nationale auprès de l’ancien président de la République, feu Béji Caïd Essebsi, n’a pas hésité à envoyer un message à Kaïs Saïed, l’invitant de faire usage de l’article 80 de la Constitution pour intervenir et prendre en main le commandement dans cette guerre contre le Covid-19. Il considère que la Tunisie fait face à la guerre la plus dangereuse de son histoire contemporaine, et qu’elle nécessite l’existence d’un seul commandement, formé du président de la République et de son Conseil de sécurité nationale pour tenter de prendre le taureau par les cornes et de faire inverser le cours des événements qui fait de la Tunisie, actuellement, le premier pays d’Afrique en nombre de décès de la Covid-19 : 137,24 pour 100 000 habitants selon la Johns Hopkins University.

Ainsi Saïed, qui vient de déclarer que la Tunisie a plus besoin d’un vaccin contre la pandémie politique, est ainsi mis devant ses responsabilités dans un contexte qui exige une intervention rapide et efficace.

Ah, ces compensations…

Abdelkarim Harouni

Et c’est au beau milieu de ce marasme qu’Ennahdha, le parti islamiste, vient de relancer le débat, à travers Abdelkarim Harouni, le président de son conseil de la Choura autour du Fonds de la Dignité et des dédommagements qui devraient être accordés aux nahdhaouis ayant souffert sous le régime de Ben Ali. Eh oui, le parti qui est actuellement au pouvoir et qui est censé trouver des solutions pour arrêter l’hémorragie d’une suffocante crise économique, tient à se remplir les poches comme il l’a déjà fait sous le règne de la troïka entre 2011 et 2013. Dans le contexte actuel, nonobstant le principe de compensation pour des « militants » qui ont toujours bataillé pour s’emparer du pouvoir et qui ont fait de la Tunisie le premier pays exportateur de terroristes, réclamer de tels dédommagements traduit un manque total de patriotisme et de sens de responsabilité. Harouni va même plus loin en évoquant, de manière voilée, une dure réaction de son parti si jamais cette affaire va encore traîner.

C’est à travers cet esprit revanchard que la classe politique compte affronter la pandémie, ce qui fait cruellement penser que cette guerre pourrait être, malheureusement, perdue d’avance.

K.Z.