Par : Kamel Zaiem
La Tunisie n’est pas seulement en crise. Le pays est fortement menacé d’être anéanti par la pandémie qui vient s’ajouter à d’autres graves indices, économiques, sociaux et politiques, de descente aux enfers.
Il n’y a qu’à suivre l’évolution quotidienne des chiffres et des courbes de liés au Covid-19 pour avoir une meilleure idée sur ce qui se passe et sur l’étendue de la catastrophe qui risque de faire encore plus de ravages.
La bataille est-elle perdue ?
Cette cauchemardesque situation se traduit par un bilan des plus terribles : le nombre de morts a dépassé la barre des 15 000, faisant de la Tunisie le premier pays africain en nombre de décès par million d’habitants (selon les chiffres officiels déclarés) alors que le taux d’occupation des hôpitaux frôle les 100 % au niveau national et les dépasse dans certaines régions.
Sur le terrain, la bataille semble perdue d’avance avec une classe politique pas du tout prête à assumer ses responsabilités vis-à-vis de ce qui se passe et des citoyens peu enclins à respecter les mesures de prévention les plus élémentaires, sans parler des dérapages avec des rassemblements meurtriers dans les galas, les cérémonies de mariage, les stades et les manifestations politiques.
Pour revenir aux chiffres, on a l’impression que le gouvernement est en train de jouer au chat et à la souris avec l’opinion publique. Le bilan quotidien émis par le ministère de la Santé ne semble pas trop convaincre. Les spécialistes sont tous unanimes que le pic de la nouvelle vague n’est pas encore atteint, alors que ce bilan est en train d’osciller, dépassant parfois la centaine de décès (le record est de 143 morts, annoncé hier mercredi) pour descendre subitement et afficher des chiffres moins alarmants. C’est comme si on veut jouer sur ces chiffres pour attiser la peur et la craint, parfois, et pour rassurer un tant soit peu dans d’autres cas.
Des différences ambigües
Loin de ce jeu indécent dans le contexte actuel, considéré comme dramatique, ces mêmes chiffres suscitent beaucoup d’interrogations : pourquoi le nombre de décès est si élevé en Tunisie par rapport à d’autres pays qui disposent, à peu près, des mêmes moyens pour réussir cette bataille contre le Covid-19 ?
En Egypte, qui compte près de cent millions d’habitants (presque neuf fois le nombre d’habitants en Tunisie), on ne compte que 16332 décès. En Algérie, dont la population compte plus que le double de la Tunisie, on compte seulement 3786 décès alors qu’au Maroc, le nombre de contaminés a atteint 537253 pour 9341 décès seulement.
Des chiffres désolants
Et pour rester dans le domaine des chiffres, il y a lieu de revenir sur les conclusions du statisticien Moez Hammami qui vient de rappeler que le pic de la cinquième vague du coronavirus sera probablement atteint, au cours des dix prochains jours, mais qu’il va falloir prendre les mesures qui s’imposent pour éviter un scénario catastrophique à l’occasion de l’Aïd Al Adhha.
Ce même statisticien ne manque pas de nous rappeler que si les chiffres continuent dans cette tendance, la Tunisie enregistrera, à la fin du mois d’août, au moins 4000 décès supplémentaires dus à la Covid-19, alors que le pays doit se préparer comme il se doit pour une éventuelle sixième vague en septembre prochain, avec la nécessité de tirer les leçons afin d’éviter les erreurs passés.
Pour compléter le tableau, le taux de tests positifs dépasse les 35 % dans un pays où le coût du test PCR dans le privé (170 dinars), aux frais du citoyen concerné, limite de fait un dépistage à grande échelle. La pandémie a également rendu flagrant le manque d’infrastructure médicale et de ressources humaines. Entre 700 et 800 praticiens quittent le pays chaque année, principalement pour la France ou l’Allemagne, et leur nombre ne fait qu’augmenter. Les médecins réanimateurs, indispensables en pareille période, sont au nombre de 160 dans le secteur public, 250 dans le privé et… 500 à l’étranger.
Confinement politique !
Face à cette effrayante situation, aggravée par la présence de plus en plus remarquée du variant Delta, la Commission scientifique de lutte contre le Covid-19 insiste sur le fait que seul un confinement général de six semaines pourrait faire retomber cette pression. Or, le gouvernement, soutenu par des partis politiques qui se désintéressent presque totalement de la gravité de cette phase, déclare encore ne pas disposer de moyens financiers pour verser des aides à la population qui sera appelée à cesser toute activité dans un pays qui compte près de 1,5 million de personnes qui travaillent dans le secteur informel, soit presque la moitié des actifs.
Or, la classe politique qui tient le pouvoir aurait pu éviter ce scénario funeste aux citoyens. Il suffit de se rappeler les dépenses excessives et les prêts et les dons que la Tunisie a pu s’octroyer ces dernières années pour constater que la gestion financière du gouvernement est loin d’être exemplaire et qu’elle laisse entrevoir beaucoup de dérapages dans un pays miné par le spectre de la corruption qui a pris des dimensions monstrueuses.
Désormais, il va falloir choisir entre servir le pays consciencieusement et proprement en faisant valoir l’équité, l’intégrité et la propreté dans le travail politique, ou continuer sur cette lancée pour accélérer cette descente aux enfers par la faute d’un peuple qui n’a pas su choisir de bons gouvernants et qui se vante encore d’être un peuple éclairé et responsable.