Par Soufiane Ben Farhat
Qui a dit que la bassesse a un plancher ? Ce qui a eu lieu hier au Parlement dépasse toutes les bornes. Le député Sahbi Smara et son allié Seif Makhlouf (tous deux de la mouvance de l’extrême-droite intégriste religieuse) ont agressé physiquement la députée Abir Moussi (Parti Destourien Libre). Énièmes agressions physiques éhontées d’une femme députée sous le regard complaisant des blocs de l’apologie du terrorisme et de leurs partis inféodés au parti intégriste islamiste Ennahdha. En fait ces deux députés font partie de l’alliance de la majorité gouvernementale. Ici et ailleurs, la violence misogyne se recoupe avec la violence politique. Étrangement et comme par hasard !
Pourtant, on fait comme si de rien n’était. En effet, il faut appeler les choses par leur nom. L’islamisme musclé et plus belliciste que jamais a investi l’hémicycle et les hautes sphères du pouvoir. En fait, le désenchantement dudit printemps arabe a accouché de véritables fossoyeurs de la paix civile et des valeurs de la République. Le tout enrobé de discours faisant l’apologie de la haine au nom de l’Islam et du fondamentalisme.
Troupes d’assaut
On le sait depuis la déferlante de la Peste brune nazie et fasciste en Europe à la veille de la Seconde guerre mondiale. En vérité, les extrémistes ne se contentent guère de distiller leur venin antidémocratique. Ils mobilisent les hommes de main à tour de bras, organisent le ban et l’arrière-ban. Autrement dit, ils en réfèrent aux troupes d’assaut.
Jusqu’ici, sous nos cieux, les colonnes de l’ordre noir étaient l’apanage des tristement célèbres ligues dites de protection de la révolution. En réalité, elles sont apparues après la révolution de 2011 et ont tôt fait d’investir la place. Malgré les accointances montrées du doigt et les évidences niées.
Téléguidées à distance, elles agissaient en toute impunité dans la mouvance intégriste islamiste chapeautée par le parti Ennahdha. En effet, les escadrons de la mort ont surgi aux marges du pouvoir de la Troïka. Grâce à sa complaisance aussi. D’ailleurs, les intellectuels, les artistes et les partis de gauche furent leur cible privilégiée. Leur passage à l’acte s’était soldé entre 2012 et 2013 par des assassinats en bonne et due forme. Ainsi en fut-il du lynchage et des assassinats de Lotfi Naguedh (de Nida Tounes), Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi (leaders du Front populaire de gauche, le second étant alors député). Malheureusement, la République tunisienne a connu depuis ses premiers assassinats politiques depuis l’Indépendance en 1956.
Détournement du vrai sens de l’immunité
Outre la cinquantaine de députés intégristes d’Ennahdha, les élections de 2019 ont porté au Parlement une vingtaine de députés de la mouvance dite al-Karama. Il s’agit d’un mouvement d’extrême-droite, inféodé à Ennahdha, viscéralement fondamentaliste et aux discours et pratiques expéditives et particulièrement musclées.
Depuis leur irruption, la démocratie tunisienne frise la voyoucratie. En fait, leur modus operandi est on ne peut plus antidémocratique. Leur discours est une somme d’insultes, menaces, invectives à l’endroit des journalistes, des syndicats et des magistrats, terrorisme verbal et physique, défense et exfiltration de terroristes.
D’ailleurs, ils se sont caractérisés par leurs attaques récurrentes particulièrement contre les femmes députées et de leurs collègues. Maintes fois, ils ont gravement blessé des députés de l’opposition dans les travées mêmes de l’Assemblée parlementaire. Certains d’entre eux sont des repris de justice tandis que d’autres sont poursuivis par la justice. En vain. Ils s’agrippent mordicus à leur immunité parlementaire. Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha et du Parlement, les couvre. Jusqu’ici on a fait fi de près d’une vingtaine de demandes de levée de l’immunité parlementaire adressées au Parlement par la Justice.
Du coup, l’immunité parlementaire, prévue pour protéger un député dans l’exercice de ses fonctions, est devenue un passe-droit. En fait, elle est devenue le cache-misère de voyous, trafiquants et criminels de tout poil.
Justice complaisante aussi
Toutefois, la Justice semble à la carte et à deux vitesses. En effet, le parquet n’intervient guère en cas de flagrant délit, comme le furent les actes violents d’hier sous les projecteurs des caméras de télévision. En vérité, le flagrant délit autorise l’interpellation voire la mise aux arrêts d’un député sans en référer aux procédures de levée de l’immunité parlementaire. Mais ça, c’est sur le papier et pour les discours en trompe-l’œil de la galerie.
Autant de faisceaux d’indices qui autorisent de penser que la démocratie balbutiante tunisienne vire à la voyoucratie. Hormis quelques communiqués de condamnation, tant l’establishment que les autorités judiciaires font la sourde oreille. Un laxisme qui profite bien évidemment aux voyous grimés en députés. En toute impunité.
Entretemps, les Tunisiens, dégoûtés, assimilent ces élucubrations aux composantes ravageuses de la pandémie dont ils meurent chaque jour par centaines.
S.B.F