Par : Kamel Zaiem
Avant de partir faire le spectacle à Rome, où il a été honoré à l’Université « La Sapienza », Kaïs Saïed a voulu nous réconcilier avec le « beau temps » en réunissant autour de lui quatre anciens chefs de gouvernement qui ont tous fièrement contribué à la destruction du pays.
Le bal a eu lieu en présence d’un ancien chef de gouvernement, Ali Laarayedh, qui nous a laissé en souvenir l’assassinat de Mohamed Brahmi en plus du triste spectacle des balles de chevrotine, Elyes Fakhfakh qui a « brillé » de mille feux dans une affaire de conflit d’intérêts et finalement un duo qui s’entend à merveille, s’agissant de Youssef Chahed et Hichem Mechichi, les nouveaux as en matière de trahison puisque l’un s’est retourné contre son parrain Béji Caïd Essebsi et l’autre a fait de même avec Kaïs Saïed, son patron au palais de Carthage.
C’est dire que cette rencontre avec des hauts responsables ratés qui ont mis la main à la pâte pour faire du mal à ce pays et à son peuple n’a pas de quoi inspirer le président de la République ni lui offrir de nouvelles solutions pratiques pour faire sortir la Tunisie d’une grave crise qui donne l’air de s’éterniser.
Optimisme éphémère
Pourtant, un jour avant, Noureddine Taboubi, le SG de la Centrale syndicale est venu afficher, un peu partout, son optimisme de voir le pays parvenir à un accord sur la tenue d’un Dialogue national. Il e a parlé avec Saïed et les deux hommes semblaient d’accord sur le principe et même certains détails qui empêchent, pour le moment, la tenue d’un tel dialogue en présence de toutes les forces vives du paysage politique et de la société civile.
Le lendemain, la musique a subitement changé puisque le chef de l’Etat, qui venait de présider cette fameuse réunion avec les quatre chefs de gouvernement en chômage, a fait part de son souhait de changer la loi électorale et quelques articles de la constitution.
Comment compte-t-il s’y faire pour réaliser son objectif ? La question mérite d’être posée, mais la réponse risque de ne pas venir.
L’impasse
L’initiative semble intéressante dans un pays miné par son propre régime politique conçu pour faire régner le flou et laisser au pouvoir ceux qui y sont déjà. Mais, diriez-vous, peut-il aller au bout de ses intentions en s’entourant d’une sélection de ceux qui portent une large responsabilité dans la dégradation et la déchéance de l’Etat tunisien ?
Saïed peut-il parvenir à ses fins sans contourner la Constitution. Il est convaincu, comme une majorité de citoyens et pas uniquement ses partisans, que le problème réside dans les textes et qu’il suffit de les changer pour que ça aille mieux. Oui, d’accord, le mal est bien là, mais peut-on le faire sans passer par le respect de la Constitution et par un dialogue avec les forces politiques en présence ?
Mais le plus grave dans tout ça, c’est la volonté présidentielle de violer la constitution. Le chef de l’Etat souhaite opérer un changement de régime politique et de règlement électoral sans respecter les cadres et injonctions de l’actuelle constitution. Il veut organiser un « dialogue préparatif d’un autre dialogue » sur ces thèmes avec, apparemment, ces mêmes chefs du gouvernement. Kaïs Saïed souhaite mettre en jeu son propre poids populaire, additionné de ce que peuvent représenter certaines personnalités pour donner une légitimité à la violation pure et simple de la constitution.
Touche pas à mon UGTT !
Cette orientation très hasardeuse et contestable fait déjà des mécontents, à commencer par l’UGTT elle-même. Evoquant le Dialogue national de 2013, Kaïs Saïed la vocation nationale d’une telle œuvre : « Ce dialogue mené par le quartet n’avait rien de dialogue et n’était absolument pas national ». Un constat qui a beaucoup déplu à Taboubi qui a vite réagi sans portes des gants : « Je dis au président de la République, vous vous êtes trompé de cible cette fois en mettant en doute le caractère national du dialogue et des organisations. L’UGTT et l’UTICA ou la LTDH sont de grandes organisations nationales qui ont mené le dialogue et n’ont besoin du témoignage de personne pour prouver leur patriotisme. Celui qui ne nous respecte pas, nous ne le respecterons pas en retour quelle que soit sa position ! ». La réplique semble assez dure et risque de faire voler en éclats le rapprochement entre les deux hommes et leurs visions partagées pour une éventuelle sortie de crise.
Verra-t-on les relations privilégiées entre Saïed et Taboubi en prendre un vilain coup ? le SG de l’UGTT ne veut pas parler de rupture et laisse comprendre que rien n’a été décidé pour le moment.
Toutefois, les observateurs les plus avertis reconnaissent qu’il s’agit d’un malentendu qui risque de s’approfondir et d’un revirement qui ne semble pas étranger avec cette fameuse réunion avec les quatre chefs de gouvernement ratés !