Par : Kamel Zaiem

Il ne s’agit pas d’un fait nouveau. Au contraire, la Tunisie a souvent subi le poids de l’ingérence de certains de ses partenaires économiques et politiques qui la soutiennent en contrepartie d’une quasi soumission aux… ordres !

Ces derniers mois, ce même phénomène d’ingérence est en train de connaître de nouveaux épisodes et il touche, à présent, la manière de gouverner et de traiter avec les  différentes composantes du paysage politique.

Au royaume des ingérences

Au moment où la situation politique vire au blocage avec le différend de plus en plus profond entre Kaïs Saïed, le président de la République et Hichem Mechichi, le chef du gouvernement soutenu par une imposante ceinture politique au Parlement, des forces étrangères très influentes se sont mises à imposer leur diktat avant de tendre la main pour une éventuelle aide financière.

Ces derniers mois, la diplomatie tunisienne a connu une grande dynamique. Des rencontres en Tunisie, mais beaucoup de déplacements et de visites officielles avaient eu lieu. La dernière en date, celle du président Kaïs Saïed à Bruxelles, pour prendre part aux travaux de la deuxième édition du sommet Tunisie-Europe, a également apporté son lot de…recommandations.

Les observateurs estiment qu’il est nécessaire de renouveler les termes de ce partenariat à travers la révision de la nature de la coopération entre les deux parties. Certains experts en économie préconisent la nécessité de tirer profit du nouveau plan de relance mis en place par l’Europe en cette période post-Covid. Or, il convient de noter qu’il existe d’autres points à prendre en considération, puisque le vieux continent ayant soutenu les révolutions dans le monde arabe avait tablé sur la réussite du modèle tunisien. Un modèle qui semble perturbé par le blocage institutionnel qui perdure en Tunisie.

préoccupation extérieure

En effet, le conflit profond entre les deux têtes de l’exécutif en Tunisie semble préoccuper l’occident. Après le Fonds monétaire qui a appelé à la nécessité d’un dialogue national en Tunisie et d’un accord entre les différents acteurs en Tunisie, les Etats unis ayant rappelé à la Tunisie la nécessité de parachever la mise en place des instances constitutionnelle, c’est au tour du président du Conseil européen, Charles Michel d’inviter le président de la République, Kaïs Saïed à éviter les tensions. Dans un tweet publié, à l’issue de leur rencontre à Bruxelles, le haut responsable européen a indiqué : « J’ai affirmé au Président Saied le soutien sans faille de l’UE à la Tunisie pour accompagner sa transition démocratique et ses réformes.  Cela passe par un dialogue politique apaisé. Notre coopération témoigne de la qualité de notre partenariat ».

Des institutions constitutionnelles et démocratiques à « libérer » !

Cette ingérence européenne rappelle une autre américaine révélée à l’issue du fameux entretien téléphonique entre Kaïs Saïed et Kamala Harris, la vice-présidente des États-Unis. La situation économique et financière a été évoquée, toujours selon les services de la présidence, pour souligner la nécessité de lutter contre la corruption pour fonder une démocratie. Mais selon Washington, les propos ont été bien plus loin. En dehors des classiques déclarations de soutien en matière sécuritaire, Kamala Harris a donné un discret coup de semonce au président tunisien, en lui réitérant l’importance et le rôle clé des institutions démocratiques. Une allusion au blocage de la mise en place d’une Cour constitutionnelle par Kaïs Saïed.

La question qui se pose aujourd’hui ne manque pas de nous laisser perplexes : la Tunisie a-t-elle les moyens de se défendre de ce type d’ingérence étrangère dans ses affaires internes ?

Opposition et vulnérabilité

Depuis 2011 et le changement de régime, la vie publique sous la Seconde République est animée par des polémiques récurrentes. Elles portent sur l’ « ingérence » étrangère dans les affaires intérieures tunisiennes.

Récemment, Abir Moussi dénonçait l’ingérence américaine dans les affaires tunisiennes. Tandis que les islamistes d’al Karama fustigeaient, sans conviction, une prétendue influence française… Le phénomène s’explique par un double mouvement. D’un côté, la révolution a revigoré le sentiment patriotique souveraino-nationaliste au sein de la société civile. Du reste, le président de la République Kaïs Saïed développait cette thématique durant sa campagne. De l’autre, l’expérience politique tunisienne suscite un intérêt certain auprès de puissances internationales et régionales, arabes et non-arabes.

Or, pour un pays qui continue à manger son pain noir, la souveraineté n’est parfois qu’une recette réchauffée pour servir dans les campagnes électorales alors que la réalité est toute autre.

Dès lors, verra-t-on Kaïs Saïed changer de discours et faire preuve de plus de souplesse vis-à-vis de ses adversaires d’aujourd’hui ? En politique, la vérité d’aujourd’hui n’est souvent plus celle de demain. Il est vrai que cette ingérence intervient au moment où le pays sombre dans les difficultés à tous les niveaux, mais il est encore tôt pour tirer des conclusions.

K.Z.