Par Soufiane Ben Farhat

Rien ne va plus entre les trois « présidences ». Cela, on le savait depuis des mois. Témoin, le remaniement ministériel du 21 janvier 2021 que le président de la République refuse toujours d’avaliser. Depuis, il demeure en suspens. Tandis que huit ministères sont encore régis par intérim par d’autres ministres eux-mêmes remplissant à peine leurs propres fonctions.

Cependant, ce dimanche, c’est encore monté d’un cran. En effet, recevant les autres « présidents » au palais de Carthage, le président de la République Kaïs Saïed leur a administré un véritable cours de droit constitutionnel, doctrine juridique et jurisprudence à l’appui.

Qui est le véritable chef de la police ?

En fait, il s’agissait de la cérémonie de célébration de la fondation des forces de sécurité intérieure. Hichem Mechichi, chef du gouvernement, et Rached Ghannouchi, président du Parlement, y furent conviés.

D’emblée, le Président Kaïs Saïed n’y est pas allé du dos de la cuillère. En fait, il a brandi l’ancienne Constitution de 1959, celle de 2014, des codes juridiques et des arrêtés de la Cour de cassation. A l’en croire, il est le chef suprême des forces de sécurité militaires et civiles. Il serait le chef incontesté de tous ceux qui portent les armes. Suivez mon regard : en plus de l’armée, il est l’unique chef de la police, selon ses propres interprétations.

Bras de fer sécuritaire

Visiblement, Kaïs Saïed n’a pas encore digéré le limogeage manu militari, le 5 janvier dernier, de son poulain à la tête du ministère de l’Intérieur Taoufik Charfeddine. Pis, c’est Hichem Mechichi lui-même qui assure depuis l’intérim du ministère de l’Intérieur.

Un petit rappel des faits s’impose. Taoufik Charfeddine, dont le prédécesseur était Hichem Mechichi, avait procédé à d’importantes nominations dans les sphères sécuritaires, sans l’accord des directeurs de la police et de la garde nationale et sans l’aval du chef du gouvernement. En fait, il s’agissait d’un vaste mouvement englobant une vingtaine de responsables, du pôle anti-terroriste, de la direction de la Sûreté nationale et de l’inspection générale de la garde nationale. Mais, selon certaines sources à la Kasbah, le ministre de l’Intérieur a payé également la mise à l’écart de Lazhar Loungou, sécuritaire qu’on dit proche du parti islamiste Ennahdha.

Effectivement, les observateurs y décelaient en sourdine la touche de Kaïs Saïed. Le prix fut lourd : le limogeage de son poulain et protégé (il était le directeur de sa campagne électorale à Sousse).

Kaïs Saïed n’a pas digéré le limogeage de son protégé Taoufik Charfeddine

Perspectives sombres

En fait, la présidence de la République s’est évertuée hier après-midi à publier sur sa page Facebook les textes évoqués par Kaïs Saïed dans son discours. De son côté, le chef du gouvernement a déclaré que les déclarations du chef de l’État sont hors de propos. Il a enfoncé le clou en ajoutant qu’il n’y a pas lieu de se perdre dans « la lecture individualiste et anormale du texte constitutionnel. »

Le porte-parole et divers hauts dirigeants du parti Ennahdha ont stigmatisé les «tendances dictatoriales» de  Kaïs Saïed, à les en croire. Ils l’ont même accusé de fomenter quelque coup de force anticonstitutionnel.

Il faut savoir qu’Ennahdha et ses alliés ont vainement essayé ces dernières semaines de créer in extremis la Cour constitutionnelle. Pourtant, ils s’en souciaient jusqu’ici comme d’une guigne. En effet, leur objectif est de destituer Kaïs Saïed vaille que vaille. Il s’y est opposé. On tente maintenant de s’y prendre autrement, via son dossier médical précisément. En fait, c’est ce que l’on susurre dans les coulisses du Parlement.

Cycle d’arrestations en vue ?

En vérité, c’est le premier discours de Kaïs Saïed après sa visite officielle en Égypte. Le général Abdel Fattah al-Sissi l’y avait reçu en grande pompe, d’une manière pour le moins pharaonique. Certains prédisent que Kaïs Saïed est en passe d’enclencher la vitesse supérieure dans son bras de fer avec Ennahdha et ses satellites et alliés.

On lui prêterait l’intention de décréter des arrestations dans les hautes sphères parlementaires et politiques compromises dans des affaires de corruption, de blanchiment d’argent, de terrorisme et de financements illicites. Des députés se calfeutrant dans l’immunité parlementaire et des politiciens véreux proches du leader d’Ennahdha en feraient les frais. Dès lors, ses déclarations s’apparenteraient à une déclaration de guerre. En fait, lui seul serait le maître des forces de sécurité intérieure qui devraient passer à l’acte.

Mot d’ordre et mesures préventives

En somme, les propos de Kaïs Saïed seraient une espèce de mot d’ordre. La police est tenue, à ses yeux et aux yeux de ses partisans, de ne s’en remettre qu’à lui.

Chacun veut mettre son grappin dessus

En face, c’est le branle-bas. En effet, les dispositifs seraient déjà pris pour endiguer tout dérapage sécuritaire de cette guerre larvée au sommet de l’Etat.

Kaïs Saïed, de son côté, ne semble guère en démordre. Mais il a le défaut de se mettre trop à nu, de se démasquer préalablement en quelque sorte. Sans parler de sa tendance à se répéter. Pareils discours avaient été tenus il y a plus d’une année déjà. En fait, ils regorgeaient de sa ferme intention de passer à l’acte et de chambouler les gentilhommières. En vain. A telle enseigne que, pour certains observateurs, ils frisent le folklorique. Mais du comique au tragique il n’y a parfois qu’un pas.

S.B.F