Par Soufiane Ben Farhat
Constitutionnellement, elle aurait dû être mise en place au plus tard en 2015. En fait, il n’en fut rien. Les partis politiques de la place ont tout fait pour retarder la création de la Cour constitutionnelle. En effet, les calculs de boutiquiers ont présidé aux différentes tentatives de sa création. A telle enseigne qu’on n’a élu jusqu’ici qu’un seul de ses douze membres.
En vérité, on a préféré jusqu’ici la règle des partis à la règle de droit. La Cour constitutionnelle est par essence, générale, impersonnelle et non partisane. Or, loin s’en faut, les partis ont avancé leurs candidats comme autant d’hommes-liges et de séides aux ordres.
Manœuvres de coulisses
Six ans après l’échéance prévue par la Constitution, on s’affaire depuis quelques semaines à la mise en place de cette Cour. En vérité, ce n’est pas tant quelque sursaut de conscience qui y préside. En revanche, les stratagèmes non avoués et les considérations politiciennes l’emportent. Finalement, on a concocté un projet de loi qui devrait être voté le 8 avril 2021. Évidemment, ce sont les manœuvres de coulisses qui l’emportent.
En toile de fond, le bras de fer opposant le président de la République, Kaïs Saïed, à la coalition gouvernementale Ennahdha-Qalb Tounes-al Karama. Celle-ci, en conflit ouvert avec le chef de l’Etat, sait que seule la Cour constitutionnelle, à la majorité des deux tiers de ses douze membres, pourrait destituer le président de la République.
Il sait pertinemment, quant à lui, qu’à défaut de Cour constitutionnelle, il est le seul habilité à interpréter la constitutionnalité des lois et procédures à sa façon. Témoin, son refus d’avaliser le vaste remaniement ministériel du 16 janvier dernier comprenant onze ministres sur les vingt-huit formant le gouvernement. En effet, aucune instance ne peut lui imposer de présider la prestation du serment constitutionnel des nouvelles recrues gouvernementales. D’où le statu quo, légal mais non moins aberrant.
Candidats controversés
Il faut savoir que la Cour constitutionnelle se compose de douze membres. Le Parlement en élit quatre, le Conseil supérieur de la magistrature en élit quatre autres et le président de la République en désigne les quatre restants. Jusqu’ici, onze membres manquent à l’appel. L’Assemblée des représentants du peuple a entamé le débat sur l’élection des membres de la Cour en février 2017. A l’issue de huit tours de vote, on n’a élu qu’une seule candidate, qui a obtenu, en mars 2018, 150 voix . Il s’agit du magistrat de l’ordre judiciaire, Mme Raoudha Ouersighni.
En fait, le nouveau projet de loi sur la Cour constitutionnel tend à parer aux formalités impossibles. Il réduit le quota minimum de l’élection des membres par l’Assemblée des deux tiers des députés (145) aux trois-cinquièmes (131) notamment. Par ailleurs, il n’impose pas l’élection parlementaire des membres en tant que préalable à la désignation présidentielle d’autres membres. Bref, ici aussi, on manœuvre ferme et, surtout, tendancieusement.
Quant aux membres proposés à l’élection parlementaire par les différentes coalitions partisanes, certains d’entre eux rebutent de prime abord. En effet, des observateurs font valoir leur salafisme invétéré sur fond d’obédiences partisanes fondamentalistes non déguisées.
Autre pierre d’achoppement, la parité hommes-femmes. en fait, elle n’a guère été retenue. Et ce, en dépit des stipulations constitutionnelles expresses.
Issues brumeuses
Pour l’instant, rien n’est encore joué. Le projet de loi peut être rejeté d’emblée à défaut de quota parlementaire ou par simple vote. Par ailleurs, en cas d’adoption parlementaire, il pourrait faire l’objet de recours devant l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (dans un délai de sept jours). Il peut également être renvoyé par le président de la République pour un second examen parlementaire, dans un délai de cinq jours et moyennant les trois-cinquièmes des députés.
En cas de promulgation du projet de loi par le chef de l’Etat, le Conseil supérieur de la magistrature procédera à l’élection de quatre membres et le président de la République désignera les quatre restants.
C’est dire qu’il y a plusieurs issues et autant de délais et recours. Pour l’instant, les issues sont brumeuses. Aucun des protagonistes ne s’affiche clairement. Partout, le non-dit est de mise.
Une chose est sure : c’est plutôt mal parti. Et pour cause, la Cour constitutionnelle obéit, dans sa conception initiale, à la logique étriquée des partis. D’où la perspective de son infficience en bonne et dure forme. Pour qu’elle soit de mise, une loi doit être au préalable largement admise. Autrement, elle demeure lettre morte.
S.B.F