Par  Soufiane Ben Farhat

C’est parti, enfin ! Les premières vaccinations anti-Covid débutent ce samedi 13 mars sous nos cieux. Les Tunisiens poussent un ouf de soulagement mêlé à un arrière-goût d’amertume. En effet, le premier lot de vaccins, arrivé en grande pompe à Tunis il y a quelques jours, est plutôt maigre. Trente mille doses pour seulement quinze mille personnes. Il est vrai que des centaines de milliers de lots suivront, paraît-il. Ainsi, le ministre de la Santé a-t-il promis trois millions de vaccinations jusqu’à la fin juin et cinq millions de vaccinations d’ici décembre. Quant on sait que plus de quatre millions de personnes ont été vaccinées au Maroc depuis fin janvier, il y a de quoi s’inquiéter chez nous. Cependant, et quoi qu’en disent nos responsables, l’arbre de saurait cacher la forêt.

Légitimité battue en brèche

En fait, les pouvoirs tunisiens -parce qu’il y en a plusieurs désormais- sont au plus bas auprès de larges franges de l’opinion. A preuve, leur légitimité est battue en brèche et leur image largement écornée. En fait, plusieurs faits et considérations y président.

En premier lieu, la gestion sanitaire de la pandémie mondiale. Depuis l’apparition du premier cas d’atteinte au coronavirus le 2 mars 2020, les autorités tunisiennes ont tout fait pour arborer une triste mine.

Si le premier confinement (mars-juin 2020) s’est grosso modo bien passé, la situation a brutalement empiré dès l’été 2020.

Ça sent le souffre

Plusieurs affaires de corruption liées au coronavirus ont vu le jour. Elles se sont succédé et ont impliqué des ministres, des députés et des hommes d’affaires. L’une de ces crises a fait carrément tomber le gouvernement d’Elyès Fakhfakh, fraîchement nommé. Le ministre de l’Environnement dans le nouveau gouvernement Mechichi a même été arrêté dans une autre affaire de corruption et de conflits d’intérêts.

Promis en grande quantité, les tests de dépistage du coronavirus ont, eux aussi, manqué au rendez-vous. Même les vaccins antigrippe ont fait l’objet de détournements sur fond de corruption.

Nombre de victimes centuplé

La population exsangue par les effets économiques pervers du confinement n’est guère au bout de ses peines. En effet, au 31 août 2020, le nombre des Tunisiens affectés au coronavirus ne dépassait pas les 3.803 cas et 77 décès en six mois. Les six mois ultérieurs, les chiffres ont été quasiment multipliés par cent. Aujourd’hui, les cas confirmés sont au nombre d’environ 240.000 et le nombre des décès déclarés dépasse les 8.330.

Au fait, pour la majorité des Tunisiens, le gouvernement est en cause. Ils pointent d’un doigt accusateur les retards accumulés, la corruption endémique et les luttes politiques fratricides et cruelles au sommet de l’Etat. A les en croire, ils sous-tendent l’hécatombe.

Paupérisation et blocage politique

Au fait, les indicateurs économiques et sociaux sont au rouge. La paupérisation frappe de plein fouet des millions de Tunisiens. Plus d’un million de personnes ont rejoint le cercle des indigents et des exclus à cause à la fois du coronavirus et de l’incurie de ceux qui tiennent le haut du pavé.

Les trois présidences se neutralisent. En fait, elles se calfeutrent dans des murailles institutionnelles qui favorisent une espèce de féodalité politique. Les conflits politiques et la crise au sommet de l’Etat plombent l’économie.

Pourtant, les attributs mêmes de la souveraineté de l’Etat et des institutions sont bradés. d’ailleurs, le pays est à l’encan. Nous en sommes réduits à accepter comme des veaux les douloureuses injonctions du FMI. Ce dernier est devenu exigeant, arrogant, préconisant un traitement de choc financier et budgétaire aux dépens des démunis et des classes moyennes. D’ailleurs, il consent à peine à financer de quoi vivoter et demeurer à un stade végétatif. Pis encore, il finance à conditions et colmate parcimonieusement les brèches. Tout en nous astreignant à avoir le couteau sous la gorge. A défaut de projets et de ressources, nos dirigeants suivent comme de bêtes de somme qu’on amène à l’abattoir.

Sur fond de désenchantement

Certes, les vaccins rappliquent, même à petite quantité. Mais il n’y a pas de quoi s’emballer ou du moins s’enthousiasmer. On ne voit pas le bout du tunnel. Les grands projets de relance font défaut. Le chômage s’amplifie. Ainsi frappe-il de plein fouet plus d’un million de Tunisiens. En effet, les nouveaux pauvres sont légion. Ils sonnent le rappel de nouvelles grimaces de la peur et de la déchéance.

Le dialogue national ou l’Arlésienne ?

Désespérément, le remaniement ministériel annoncé le 16 janvier dernier est toujours en suspens. Le président de la République refuse toujours la prestation du serment constitutionnel des onze ministres nouvellement nommés. Le chef du gouvernement refuse d’en remplacer les quatre soupçonnés de corruption et de conflits d’intérêts. Du coup, le chef de l’Etat exige la démission du chef du gouvernement, Hichem Mechichi. Rached Ghannouchi, président du parlement et du parti Ennahdha soutient Mechichi.

En fait, plusieurs acteurs de la scène politique invoquent le dialogue national. Sa nécessité impérieuse est soulignée par plusieurs protagonistes de la place depuis novembre 2020. Le Courant démocratique, le mouvement Echaab et la centrale syndicale l’Ugtt le privilégient particulièrement en tant qu’unique voie de salut. Le président de la République, Kaïs Saïed le cautionne du bout des lèvres. Mais ce dialogue n’a toujours pas de teneur et encore moins de la consistance. A telle enseigne qu’à la longue, le dialogue national s’apparente plutôt à l’Arlésienne du fameux récit d’Alphonse Daudet. La personne qu’on attend, dont on parle toujours et qui n’arrive jamais.

Quelle sortie de crise ?

N’empêche, la sortie de crise demeure toujours inconnue. Pour l’instant, les préoccupations majeures des Tunisiens sont sanitaires, économiques et vitales. Pour la majorité d’entre eux, la politique est un luxe. Manifestement, ils n’en ont cure. Cependant, la politique à laquelle on tourne le dos est la cause première de la faillite générale. Dès lors, elle pèse de tout son poids sur le vécu. Paradoxalement, elle nourrit même les vicissitudes et les verrouillages.

Pour l’instant, l’annonce des premiers vaccins semble être une légère satisfaction. Pourtant, loin d’être des pessimistes par nature, les Tunisiens nourrissent aujourd’hui la sinistrose plus qu’autre chose. Vivre sans espoir, c’est cesser de vivre dit-on. Mais qui vit d’espoir meurt de désir.

S.B.F