Lorsqu’on se rappelle de Chokri Belaïd, la voix de la gauche tunisienne qui a été étouffée par les mains de deux traitres, on ne peut que déplorer la perte d’un grand homme. Cependant, Chokri est toujours vivant dans le cœur de tous les patriotes tunisiens, qui, chaque 6 du mois de février, sont au rendez-vous pour commémorer et dénoncer son assassinat.  

Parcours du martyr symbole

De par les témoignages de tous ceux qui l’ont côtoyé, le premier martyr de la Tunisie postrévolutionnaire fut un homme exceptionnel. Militant, optimiste, jovial, amoureux de la vie et fervent défenseur de toutes les causes nobles et justes, Belaïd est l’homme des mille et une fleurs et de l’existence digne. Aujourd’hui, nous commémorons sa mort tout comme il l’aurait souhaité : en semant l’espoir pour une vie digne et une Tunisie juste et équitable comme le fût son parcours de défenseur des droits de l’Homme.

Avocat, Chokri Belaïd avait effectué ses études de droit en Irak, pays qu’il admirait pour sa richesse civilisationnelle et historique. La deuxième escale après l’Irak, fut en France où il a poursuivi son troisième cycle à l’université Paris 8. Ses premiers pas de militantisme, il les a faits ici, dans sa mère patrie durant les années 80 et à côté de ses camarades à l’université tant il était membre à l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET). En avril 1987, sous le régime de Bourguiba, le combat de Chokri lui a été soldé par un emprisonnement à la prison Rjim Maatoug. Il a été relâché peu après la prise du pouvoir par Ben Ali. Figure symbolique du militantisme, Chokri a repris le travail en s’impliquant dans des affaires essentiellement liées au respect du droit de l’Homme. C’est durant l’ancien régime qu’il devient l’un des opposants de gauche. Et si dans la Tunisie postrévolutionnaire, Belaïd était devenu un opposant farouche à l’islam politique, il a pourtant défendu bien des prisonniers appartenant à la mouvance islamiste en 2003, durant le régime de Ben Ali.

Depuis décembre 2011, il était aux premiers rangs de toutes les manifestations. En 2012, il bâtit son parti Al Watad. Et en octobre 2012, il participe avec d’autres figures de la gauche, à la naissance du Front Populaire. Belaïd continue son combat contre l’obscurantisme. Mais dans la matinée du 6 février 2013 et en quittant son domicile à El Menzah VI, il a été assassiné par trois balle tirées par deux individus sur une moto. Un fait qui a changé, et à jamais, le visage de la Tunisie postrévolutionnaire et a marqué un véritable tournant dans le pays. Aujourd’hui, 8 ans après son assassinat, ses camarades et amis gardent encore espoir. Ils sont convaincus que la vérité finira par éclater au grand jour. C’est du moins ce que nous a révélé Jilani Hammami, ancien député du Front Populaire et ancien camarade de Belaïd.

Si Belaid nous serait conté…

« Trois jours avant la mort de Chokri, nous avions assisté à une réunion à Béja. J’étais assis à côté de lui sur la tribune. A la clôture de la réunion, on nous a fait part d’un différend qui a eu lieu à Jendouba entre les militants des différents partis appartenant au Front Populaire. Chokri et moi-même avions décidé de s’y rendre mercredi 6 février pour apaiser la tension, rassembler les différentes parties et resserrer les rangs. Mercredi, je me suis réveillé tôt et me suis rendu au Belvédère, point du rendez-vous pour l’attendre comme prévu. Le connaissant ponctuel, je me suis mis à l’appeler pour comprendre les raisons de son retard. Son téléphone était injoignable. J’ai dû l’appeler à plusieurs reprises sans réponses. Entre temps, je reçois un coup de fil où un ami m’informe qu’il a entendu parler d’une probable tentative d’assassinat visant Chokri. Franchement, je ne me suis pas alarmé outre mesure ni pris la nouvelle au sérieux ! C’était juste inadmissible pour moi. Je croyais que quelqu’un aurait tenté de se bagarrer avec lui parce qu’un incident pareil s’était produit il y a deux à trois semaines, lorsqu’il s’était rendu au Kef pour le Congrès régionale de la Ligue. Des partisans d’Ennahdha avaient envahi la salle et empêché la tenue de la réunion et avaient a tenté de violenter Chokri… Bref, j’ai pris ma voiture en m’apprêtant à aller chez lui pour comprendre ce qui se passait. Mais une fois à bord, j’ai ouvert la radio et entendu la nouvelle. J’ai su qu’il a été transporté dans une clinique proche ! Cela m’a glacé le sang, mais j’ai tenté de m’y rendre le plus tôt possible ayant toujours de l’espoir qu’il soit encore vivant. Je suis arrivé sur les lieux et j’étais parmi les premiers à côté de Taïeb Baccouche, Hamma Hammami et Youssef Seddik. Et là, j’ai su… Basma Khalfaoui portait encore dans ses mains des draps tâchés du sang de Chokri. Et j’ai su qu’il a succombé à ses blessures. Après avoir encaissé le choc, j’ai compris que j’ai perdu mon ami et mon camarade depuis le temps des études. Parce que Chokri et moi sommes devenus amis depuis son retour de France lorsque nous étions membres de l’UGET. J’ai réalisé que mon ami tellement actif nous a été volé, que l’homme courageux, fonceurs, audacieux et tellement éloquent git inerte sans vie. Chokri était un homme de caractère qui savait parler et se faire écouter. C’est lui qui a toujours su comment rassembler les camarades et imposer l’union au sein de son parti. C’était un leader au véritable sens du mot. Mais ce leader n’était plus et plus rien n’allait être pareil par la suite.

Aujourd’hui cela fait 8 ans que Chokri a été lâchement assassiné et le pays qu’il a rêvé est secoué de moult maux. Mais on a beau tenter d’étouffer la vérité comme on a étouffé sa voix, je suis certain que la vérité sortira parce que ceux qui ont tout fait pour la cacher, sont actuellement haïs par le peuple. Et la pression finira par les affaiblir. La justice aura lieu, c’est dans l’ordre naturel des choses ».

Y.A.